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de l’art antique. Et qu’on ne relègue pas ce fait d’une conversion instantanée, de ce brusque coup de la grâce pour ainsi dire, parmi les anecdotes suspectes ou les légendes dont on a si souvent surchargé les biographies des artistes célèbres. Mieux encore que le récit de Vasari, une œuvre de la main même du maître, la chaire du baptistère de Pise, achevée en 1260, nous raconte l’influence subie et en consacre le souvenir, puisqu’un des bas-reliefs de cette chaire offre, dans plusieurs parties, une imitation presque littérale des figures groupées le long du sarcophage que possède le Campo-Santo.

Il serait facile au surplus de multiplier les preuves de cet empressement à s’approprier les exemples antiques et de noter les emprunts faits à l’art grec ou romain par Nicolas de Pise à mesure que ses voyages ou ses recherches lui procuraient de nouvelles occasions d’étude et un surcroît d’informations. Trois ouvrages principaux, trois chefs-d’œuvre pour le temps d’érudition et de goût, — cette chaire du baptistère de Pise, la, chaire de la cathédrale de Sienne et l’arca ou châsse de saint Dominique à Bologne, — fourniraient à cet égard bon nombre de témoignages. Ici, l’on reconnaîtrait les fragmens à peine modifiés de certains monumens qui ornent aujourd’hui le musée Pio-Clémentin, au Vatican, là une figure d’esclave faisant partie de la collection du Capitole revit presque trait pour trait dans une des compositions consacrées à la gloire de saint Dominique, tandis qu’une autre figure, — celle d’un Bacchus barbu, sculpté sur un vase grec au Campo-Santo, — est devenue le modèle d’un des personnages qui environnent la sainte, famille dans un bas-relief représentant la Circoncision. Est-ce donc que le mérite de Nicolas de Pise consiste tout entier dans cette aptitude à faire son bien des découvertes d’autrui et à combiner, suivant les exigences de chaque tâche, les matériaux fournis par l’art ancien ? La méprise nous semblerait grande de n’attribuer, à un pareil homme que l’habileté modeste ou la stérile fécondité d’un copiste. Si son rôle d’imitateur est manifeste, encore faut-il s’entendre, en ce qui le concerne, sur la portée de ce rôle et sur les caractères de l’imitation.

Depuis que les monumens antiques sont devenus pour tous les artistes, mais plus particulièrement pour les sculpteurs, les termes sacramentels du beau, les exemplaires par excellence des intentions et des formes qu’il appartient à l’art de traduire, l’étude de ces incomparables chefs-d’œuvre a eu quelquefois ce résultat, d’immobiliser, de compromettre au moins les progrès qu’elle paraissait devoir stimuler. A force d’admirer la majesté des apparences, on s’est laissé aller à ne plus tenir compte que de ces dehors, à contrefaire inutilement des modèles dont il eût été si profitable de s’inspirer ; au lieu de demeurer pour l’imagination une source