serait-il pas venu de s’appliquer à mieux observer la limite qui sépare de la manie de copie servile l’esprit judicieux d’imitation ? N’est-il pas opportun, n’est-il pas nécessaire d’apprendre à discerner entre les justes raisons de progrès et les prétextes qui ne feraient que légitimer la routine, à interroger enfin les chefs-d’œuvre de la statuaire antique comme on consulte Virgile, non pour lui emprunter sa langue et pour parler en vers latins, mais afin de renouveler en soi quelque chose de ses émotions et de donner aux idées du temps où l’on vit la forme d’expression la plus pure ?
Il semble qu’en s’appuyant, pour installer sa réforme, sur le principe de l’imitation, Nicolas de Pise ait pressenti l’abus qu’on en pourrait faire, qu’il ait voulu protester d’avance contre les entreprises où le zèle archaïque nuirait à la recherche du vrai, à la bonne foi. Ses travaux en effet, si directement inspirés qu’ils soient par les exemples de l’art antique, procèdent aussi d’un grand fonds de sincérité. Tout y accuse la volonté de se rapprocher de certains modèles, mais ces modèles ont pris sous la main de l’artiste, ou plutôt sous l’influence de son propre sentiment, une physionomie imprévue, une signification morale en rapport avec le nouveau rôle qui leur est attribué, en sorte que là même où Nicolas de Pise s’empare le plus ouvertement d’une donnée antique, il commet bien moins un plagiat qu’il ne prélève une dîme conforme à son droit et en tout cas profitable à son talent. Est-il besoin d’insister sur la légitimité de ces coutumes et de justifier en détail des emprunts que les plus grands parmi les grands maîtres ont de tout temps pratiqués ? Depuis Raphaël, dont le pinceau n’hésitait pas à reproduire dans le tableau des Trois Grâces le groupe en marbre de la Libreria de Sienne, jusqu’à notre Poussin, qui trouvait dans un bas-relief représentant la Mort de Méléagre l’ordonnance de sa composition sur l’Extrême-Onction, le nombre est infini des artistes auxquels on pourrait reprocher de pareils larcins, si l’indépendance de la manière et la loyauté des intentions n’excluaient de reste chez eux tout soupçon de tromperie ou d’indigence personnelle. Pourvu qu’en s’aidant des enseignemens du passé on ne convertisse ni ce juste moyen de secours en exaction, ni ces leçons en pures recettes, on a bien le droit, on a le devoir de disposer de ressources qui sont pour tous les esprits de haute race un patrimoine commun. Le premier parmi les artistes italiens ; Nicolas de Pise à su opérer cette conciliation entre l’étude approfondie des chefs d’œuvre et le respect de l’inspiration personnelle. Personne avant lui ne s’était avisé de consulter l’art antique ailleurs que dans les traductions mensongères données par l’école dégénérée des Byzantins[1]. De
- ↑ Notons pourtant l’exception singulière que présentent, au milieu des monumens de l’orfèvrerie et de la sculpture antérieurs de quelques années à l’époque de Nicolas de Pise, les pièces de monnaie d’or dites monete augnstati, frappées à Naples et en Sicile à l’effigie de Frédéric II (1231-1236). Ici en effet l’intention de se conformer à la tradition antique est sensible. La couronne de laurier qui ceint la tête du monarque, le dessin du profil, l’ajustement de la draperie qui couvre les épaules, tout révèle un souvenir assez exact et une étude assez attentive des spécimens de la numismatique romaine au temps des césars. Le mouvement d’idées que ces pièces expriment ne saurait avoir toutefois dans l’histoire du vieil art italien qu’une signification fort circonscrite, et même à Naples que le caractère d’un fait bien passager, puisque tout cesse avec le règne de Frédéric II. Dans le midi de l’Italie, dès la seconde moitié du XIIIe siècle, on était revenu, pour la fabrication des monnaies, au goût et aux coutumes barbares du siècle précédent.