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de la modération, ou aux chefs du gouvernement de se montrer médiocrement attentifs à la voix de la prudence le jour où ils engageaient avec la république de Gênes cette terrible lutte qui devait aboutir à la défaite de la Meloria, ― ce sont là des faits trop certains et qui affaiblissent l’opportunité des symboles choisis par le sculpteur. Quoi qu’il en soit, et à n’envisager que les intentions pittoresques, le groupe est hardiment conçu, traité dans chaque partie avec un vif sentiment de la grandeur, avec une énergie un peu âpre, mais dont la rudesse même ajoute quelque chose à la majesté de l’aspect.

Quant à la beauté proprement dite, ici, comme dans la plupart des travaux de Jean de Pise, elle fait presque complètement défaut. Les traits des visages n’expriment plus cette recherche de la régularité, de la sérénité antique que respire chaque tête due au ciseau du chef de l’école ; les formes des corps et des draperies ont pris, au lieu de l’exactitude et de la simplicité premières, une apparence tantôt compliquée jusqu’à la lourdeur, tantôt sommaire jusqu’à l’aridité. Là où Nicolas de Pise se serait obstinément appliqué à embellir le vrai, Jean, hésitant entre les conseils de la réalité et les suggestions de la fantaisie, semble avoir alternativement obéi à ces deux influences contraires. Très remarquable au point de vue de l’invention et de l’ordonnance générale, très neuve, au moment où elle parut, par les caractères de l’inspiration, son œuvre a donc beaucoup moins d’importance et de prix, si l’on n’en considère que les mérites matériels. Comme la chaire de l’église de Saint-André à Pistole, comme le tombeau du pape Benoît XI à Pérouse, comme les autres morceaux de sculpture que Jean de Pise exécuta successivement dans plusieurs villes de l’Italie centrale, le groupe du Campo-Santo annonce un talent robuste, mais enclin à si bien abuser de sa force qu’il la prodigue jusqu’à la violence, une imagination mâle et entreprenante, mais aussi prompte à s’emporter ; on y sent enfin, on y reconnaît un vigoureux tempérament d’artiste plutôt qu’un esprit sévèrement réglé, et les soubresauts de l’audace plutôt que les mouvemens continus du courage.

Si l’on rapproche les ouvrages de Jean de Pise de ceux qui ont fait la gloire de son père, nul doute que, dès la seconde phase de la réforme, la sculpture italienne ne paraisse avoir perdu en correction et en beauté plastique ce qu’elle venait de gagner en puissance du côté de l’invention. Jean de Pise néanmoins n’a pas seul la responsabilité de ce double changement. Qu’il ait contribué à le déterminer plus activement qu’aucun de ses condisciples, qu’il ait de bonne heure acquis une réputation à laquelle nul d’entre eux n’arriva, même au bout de longues années, c’est ce que nous apprennent l’examen de ses travaux et les documens historiques.