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interprétant, un artiste au génie audacieux et violent entre tous, André Orgagna, les ignore en apparence ou les rejette, et, comme s’il fallait que le démenti publiquement donné par lui empruntât des circonstances domestiques un surcroît de fierté et d’énergie, c’est au sortir de l’atelier d’André de Pise, c’est après avoir fait son apprentissage auprès de ce maître si scrupuleusement informé, que l’impétueux novateur entreprend de rompre avec toute tradition, de répudier les conseils du présent aussi bien que les exemples du passé.

On sait avec quel succès Orgagna pratiqua dans ses peintures à fresque ce système à outrance de liberté et de confiance en soi, avec quelle sauvage puissance il figura, sur les murs du Campo-Santo de Pise, le Jugement universel et surtout le Triomphe de la Mort, — une des œuvres les plus navrantes, une des moralités pittoresques les plus terribles que la main humaine ait jamais tracées. Sans avoir une originalité aussi farouche, les bas-reliefs et les figures qui ornent le tabernacle d’Or-San-Michele, à Florence, — se distinguent des travaux contemporains du même genre et des travaux antérieurs par l’extrême hardiesse de la pensée, par l’expression d’une émotion immodérée, souvent brutale dans les termes, mais après tout profondément sincère et éloquente à force de franchise. Orgagna d’ailleurs n’eut pas et ne pouvait pas avoir d’imitateurs. Sa manière, si tant est que le mot s’applique à un talent aussi dédaigneux des procédés, sa poétique, absolument personnelle et subordonnée tout entière aux inspirations de son génie, n’était pas de ces secrets qui se transmettent. Aussi l’apparition du sculpteur du tabernacle d’Or-San-Michele, quelque considérable qu’elle soit à titre d’événement isolé, n’a-t-elle dans l’ensemble des progrès et dans l’histoire générale de l’art qu’une signification secondaire. La marche de l’école n’est ni détournée du but, ni même ralentie pour cela, et, s’il n’y a que justice à admirer l’étonnante vigueur des efforts, tentés par Orgagna, encore faut-il reconnaître qu’en face du mouvement dont il prétendait se rendre maître, il n’a fait que lancer une protestation stérile, un défi éclatant, mais sans écho.

De l’examen des talens et des travaux dont nous avons indiqué jusqu’ici la succession, deux faits principaux ressortent, qu’il convient de rappeler ayant de passer outre. C’est d’abord, malgré de notables différences dans l’application, malgré même cet essai de révolte qui commence et qui finit avec Orgagna, la permanence des doctrines implantées par le régénérateur de l’école ; c’est ensuite ce singulier privilège qui appartient à la ville de Pise, et qu’elle garde sans interruption jusqu’aux approches du XVe siècle, de défrayer à peu près seule la sculpture italienne, de la représenter au moins dans ses œuvres les plus importantes et les plus expressives. Sans