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mérites intimes de l’œuvre que sur la pensée de celui qui la jugeait. Que Michel-Ange ait voulu louer la richesse d’imagination et la science déployées par Ghiberti à une époque où l’on n’avait vu encore ni une abondance d’idées et de motifs décoratifs aussi grande, ni une pratique matérielle aussi sûre, — quoi de plus naturel et de plus juste ? Mais était-il homme à méconnaître ce que le travail avait au fond de contraire aux conditions de la sculpture, aux théories qu’il professait lui-même, et, citation pour citation, laquelle a le plus de signification et de prix, ou de celle qu’on a coutume de faire ou de ce passage d’une lettre due aussi à la main qui aurait voulu transporter dans le ciel les portes de Ghiberti ? « La peinture, écrivait Michel-Ange, est d’autant meilleure qu’elle imite de plus près le relief de la sculpture. En revanche, la sculpture est d’autant plus défectueuse qu’elle s’éloigne moins des conditions de la peinture. » Les bas-reliefs modelés par Ghiberti ont le tort d’exprimer ce rapprochement que condamnait le sculpteur de Moïse. On doit y admirer les témoignages d’un double progrès dans le sens d’une étude plus pénétrante de la nature et d’une interprétation plus délicatement savante des modèles antiques : il n’y aura que justice pourtant à y relever une confusion dans les principes, une imprudence au moins dans l’emploi des moyens, très différente de la sage méthode qui s’était perpétuée jusqu’alors, et dont, fort heureusement pour l’art florentin, Donatello et son école allaient, à leur manière, renouer la tradition.

Est-ce donc qu’on ne puisse constater aucune analogie entre les aspirations de Ghiberti et celles de Donatello ? Le besoin de faire acte de sculpteur supprime-t-il si bien chez celui-ci toute préoccupation pittoresque qu’il recherche dans ses ouvrages, à l’exclusion du reste, la gravité solennelle des lignes, la simplicité austère du modelé, l’inflexible majesté de l’aspect ? Non sans doute. Si discret relativement que soit le ciseau du maître, il s’approprie, lui aussi, quelque chose de la tâche et des procédés du pinceau. Par l’ardente curiosité avec laquelle il interroge la nature et en transcrit ; jusqu’aux détails les plus subtils, jusqu’aux vérités d’exception et d’accident, Donatello appartient à la même race que ces peintres contemporains qui réussissaient à trouver les secrets du style dans l’expression strictement vraisemblable des choses. Comme Masaccio, il a le don d’ennoblir, à force de bonne foi, la représentation de la réalité pure, et de racheter par l’audacieuse fidélité des portraits la beauté incorrecte ou irrégulière des modèles. Seulement, et c’est là ce qui le distingue de Ghiberti, il n’oublie pas qu’en empruntant à la peinture certains moyens de préciser la physionomie ou là formé, il ne saurait s’aider des mêmes secours en ce qui concerne l’ordonnance linéaire ou les élémens perspectifs de l’effet.