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Page:Revue des Deux Mondes - 1865 - tome 59.djvu/648

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symbole apocalyptique. Apollonius est très méprisant pour les Juifs et la Judée. Titus est à ses yeux un instrument de la colère divine, et il refuse de se rendre dans un pays souillé par les vices et les crimes, de ses habitans, duquel par conséquent il ne pourrait tirer rien de non. Ceci nous conduit à une remarque, du même genre qui aurait dû frapper la sagacité de M. Chassang. En général, les villes connues pour avoir été les principaux foyers du christianisme primitif sont ou fort mal notées, ou du moins converties, par Apollonius. Il a reçu sa première éducation à Tarse, patrie de Paul ; mais les mœurs relâchées de cette ville l’en ont éloigné. Éphèse, Antioche, Smyrne, Alexandrie, ces grands centres du christianisme, sont l’objet de censures analogues. Éphèse, le grand quartier-général de Paul et plus tard de Jean, lui doit son salut. Apollonius y a fait beaucoup de bien, mais n’y a rien appris. En même temps un chrétien, lisant sa biographie, devra reconnaître, que l’on peut rester attaché à la vieille religion sans être forcé pour cela d’approuver des coutumes immorales, telles que les combats de gladiateurs, ou d’admettre des fables absurdes comme celles qu’ont imaginées les poètes. Qui sait même s’il ne trouvera point une explication lumineuse de la divinité du Christ dans cette réponse d’Apollonius à Domitien, qui l’interroge un peu à la manière de Caïphe : « Pourquoi t’appelle-t-on dieu ? — Parce que l’on honore du nom de dieu tout homme que l’on croit vertueux, » répond le philosophe.

Rappelons-nous à présent qu’à l’époque où Philostrate prit la plume, le christianisme et l’église avaient déjà dépassé la période où les haines brutales de la populace dans quelques grandes villes contrastaient seules avec l’indifférence dédaigneuse dont ils étaient l’objet partout ailleurs. On n’en était plus au mépris superbe d’un Tacite et d’un Pline. Celse avait dirigé contre l’Évangile les traits acérés de sa dialectique, Lucien avait aiguisé contre lui sa raillerie mordante. Les platoniciens recherchaient en grand nombre le baptême. Les chrétiens de Rome et leur évêque avaient été en grande faveur à la cour sous Commode. De nombreux et insignes martyres avaient commandé l’attention générale, et les historiens contemporains commençaient à spécifier, en racontant la vie des empereurs, s’ils avaient toléré ou persécuté les chrétiens. Encore une fois, serait-il un moment admissible qu’en un tel temps, ayant à composer un livre sur le thème d’une réforme religieuse du monde entier, Philostrate n’ait pas pensé au christianisme ? Et s’il y a pensé et qu’il se soit systématiquement tu sur son compte, n’y a-t-il pas dans ce silence affecté toute autre chose qu’une preuve d’indifférence ? Le désintéressement apparent vis-à-vis des systèmes qu’on