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de la distraction et des plaisirs. Nous avons dit son goût des cérémonies et des spectacles ; ce goût dégénéra en une passion qu’il lui fallait satisfaire à tout prix. Il en vint à exercer une véritable tyrannie envers la noblesse de sa cour pour que rien ne manquât à ses fêtes. Il fallait que, sur son ordre, des jeunes filles de haute naissance, des mères, des vieillards, quittassent leurs familles pour paraître sur le théâtre, où il se montrait lui-même. On risquait la ruine de tout crédit et le renversement de toute fortune, si l’on tardait de complaire à de bizarres caprices qui donnaient au règne de Gustave III un fâcheux air de ridicule despotisme. C’était à l’Opéra que les ministres étrangers pouvaient entretenir le roi des intérêts de leurs cours, et l’ambassadeur de France regardait comme un solide avantage d’y avoir sa loge à côté de la sienne. Vers l’époque de la naissance du duc de Smoland, cette passion du théâtre ne laissait plus aucun repos à Gustave III. Au mois d’avril 1783, quand il fait représenter sa pièce intitulée le Comte d’Helmfelt, c’est lui qui écrit de sa main les cinq cents billets d’invitation ; il assiste Monvel pour instruire et diriger les acteurs, il leur donne des leçons de déclamation. Il emploie, pour rendre ses représentations plus magnifiques, les joyaux de la couronne et jusqu’aux diamans récemment envoyés par Marie-Antoinette comme marraine de son fils. En vain le vieux comte Charles Scheffer, son ancien gouverneur, lui rappelle sa promesse de ne plus paraître sur la scène : Gustave répond qu’il se sent en âge de n’avoir plus besoin de tutelle. En vain l’ambassadeur de France expose la nécessité d’une conduite plus politique : Gustave répond que la révolution de 1772 a été préparée pendant une répétition d’opéra. Cependant le mécontentement, devenu public, était exploité par les ennemis du roi ; de nombreuses satires qui circulaient dans les salons et à la cour même, d’insolens placards affichés dans les rues, l’accusaient de s’entourer de jeunes débauchés et de corrompre la nation :


« Tel jeune cavalier de la noblesse suédoise, écrit le ministre de Danemark dès 1781, qui autrefois passait ses matinées à lire l’Esprit des Lois ou les oraisons de Cicéron, les emploie maintenant à faire des entrechats et des cabrioles. Le peuple, qui s’assemblait anciennement pour disserter des affaires de l’état, court actuellement en foule aux comédies pour voir représenter les parodies des opéras qui se donnent aux théâtres de la cour, et les troupes de comédiens qui se forment de toutes parts dans les provinces, ainsi que les institutions de bals, assemblées et mascarades, prouvent assez que le goût du spectacle et des amusemens se répand à l’excès par tout le royaume. »

Ces dissipations entraînaient d’énormes dépenses. Il y avait pendant des saisons entières cent personnes chaque jour à la table