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Tout cela est sauvegardé par une élévation d’impôt sur la fabrication et la vente, abandonnées à l’industrie particulière. Le progrès des communications, et l’extension du commerce sont venus concourir à un salutaire changement, dont les résultats définitifs sont aujourd’hui une rapide disparition de l’ivrognerie, et, — se substituant à une importation jadis nécessaire, — une notable exportation, presque chaque année, d’un superflu de céréales.

Le vrai moyen de rétablir ses finances eût été pour Gustave III de se vouer au développement des sources de la richesse nationale ; mais il était trop de son temps pour ne pas sacrifier à la gloire du théoricien et du philosophe le mérite solide et fécond du patient administrateur. Les réformes par lui ébauchées au début de son règne, interrompues prématurément, ne donnèrent pas tous leurs fruits ; il en résulta que l’argent lui manqua sans cesse. Inquiet et besoigneux, rêvant de suppléer à ce qui lui manquait de puissance effective par la gloire, mais toujours à court de moyens pour arriver à la conquérir, il obséda la France par ses demandes continuelles de subsides, et ne craignit pas même de s’adresser à d’autres puissances, au risque de mécontenter sa plus ancienne alliée. Rien de tout cela n’échappait au cabinet de Versailles, qui lui prodiguait les plus sages avis.


« L’objet essentiel du roi de Suède, écrit M. de Vergennes, doit être de rétablir la population et d’augmenter la richesse dans ses états. Toute autre vue, fût-elle le chemin d’une gloire certaine, tournerait à son désavantage. Il aura assez de poids et de considération en Europe quand la Suède sera gouvernée le mieux possible. — On cherche (dit-il encore) des motifs bien politiques au séjour de sa majesté le roi de Suède à Gripsholm, tandis que ce n’est qu’une imitation de la plupart des rois de l’Europe, qui habitent peu leurs capitales. Ce serait un malheur pour sa majesté suédoise de ne pas considérer si les circonstances locales, l’habitude de la nation, la disposition actuelle des esprits, lui permettent d’introduire de telles nouveautés sans inconvéniens. Gustave III a besoin plus qu’aucun autre prince de se rendre accessible et de ne pas isoler sa cour, pour laisser le champ libre aux habitans de Stockholm, parce qu’il s’en faut de beaucoup que les Suédois soient accoutumés à tout attendre de la seule volonté de leur roi. »


Par ces dernières paroles, M. de Vergennes avertissait Gustave III de prêter une plus sérieuse attention aux difficultés politiques qu’il laissait grandir autour de lui. Non-seulement l’embarras des finances, les fautes de l’administration, le luxe de Gustave, répandaient un mécontentement général, mais chacun des ordres de la nation suédoise avait ses griefs contre le gouvernement du roi. L’ordre des paysans était irrité de la législation sur l’eau-de-vie, qui entravait l’agriculture, et il y eut dans plusieurs provinces des