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Page:Revue des Deux Mondes - 1865 - tome 59.djvu/669

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foyer de discorde toujours actif. Le cabinet de Pétersbourg cachait mal l’espoir de relever un jour en Suède l’anarchique constitution de 1720. Les mécontentemens soulevés dans chaque ordre, de la nation par les fautes de Gustave III, et particulièrement les rancunes de la noblesse, paraissaient devoir favoriser ces funestes desseins, et Gustave ne voyait pas sans une profonde inquiétude coalition qui, dans l’intérieur même de sa capitale, se formait contre lui : il brûlait du désir d’en punir les auteurs. Enfin la Russie ne cessait d’empiéter par des conquêtes successives sur le territoire ottoman ; or un traité du 22 août 1739 entre la Porte et la Suède disposait qu’en cas d’attaque de la Russie contre l’une ou l’autre de ces puissances, les hostilités seraient considérées comme subies par toutes deux : une action commune serait dirigée contre l’assaillant par terre et par mer, et nulle des deux parties ne mettrait bas les armes avant que l’autre eût obtenu le redressement de ses griefs. À vrai dire ? une guerre contre la Russie parut surtout à Gustave III le meilleur des expédiens pour sortir des embarras extrêmes de sa situation intérieure. Abreuvé de dégoûts jusque dans sa vie privée, en butte à l’esprit de dénigrement et d’ironie, craignant même les complots et la trahison, il pensa qu’un prompt moyen de confondre les factieux et de ramener à lui son peuple était de se placer, et le pays avec lui, en face de la guerre étrangère. C’était raisonner juste, si le mal contre lequel il fallait réagir n’était pas trop avancé, et que les forces vives de la nation se fussent en effet conservées intactes quelque part, prêtes à répondre à son appel, Ses embarras redoublaient cependant au moment d’engager l’entreprise. En effet, toute guerre offensive devait être précédée d’une convocation des états, appelés à voter les fonds nécessaires ; or Gustave ne se résignait pas à affronter le danger d’une diète où ses ennemis réunis le forceraient de renoncer à son dessein. De plus, si la Russie était attaquée, le Danemark, lié à cette puissance par un traité de défense commune (celui de 1774, qui confirmait ceux de 1765 et 1769), était tenu d’opérer une diversion contre l’assaillant.

Il y avait donc pour Gustave III un double intérêt à ne point passer pour l’agresseur. Il crut y réussir en habillant à la russe de pauvres paysans finnois qu’il paya pour venir fourrager dans son camp sur la frontière de Finlande, et avec lesquels on échangea quelques coups de fusil : cela servit de prétexte, bien que nul ne s’y dût tromper. Il offrait en même temps à Catherine II, son ultimatum : châtiment exemplaire de l’ambassadeur de Russie à Stockholm, restitution des parties de la Finlande cédées précédemment, et paix avantageuse aux Turcs sous la médiation de Gustave. Où puisait-il la témérité d’un tel langage ? Il est vrai que le souvenir était encore vivant en Suède des victoires de Charles XII ; on répétait