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tage en trois ordres. Elle aussi exprime ses sympathies pour ceux qu’elle nomme les défenseurs de la constitution anglaise, parmi lesquels elle trouve les voix les plus courageuses et les plus pures. Elle sait enfin, dans la gauche de l’assemblée, discerner les forcenés démagogues des chefs élégans du parti populaire, jeunes ambitieux qui attendaient, dit-elle, pour monter sur le char de l’état que, dans sa descente rapide, il s’arrêtât à leurs relais.

M. de Staël s’était toutefois engagé personnellement dans une voie qui ne devait pas être celle du roi son maître. Gustave III s’était bien montré naguère, il est vrai, partisan chaleureux des idées philosophiques et sociales, mais à la condition que les réformes fussent accomplies sous les auspices de la royauté, dont il réservait tous les droits. Quelles qu’aient été jamais l’ardeur et la sincérité de son langage libéral, il n’a pas dépassé les limites assez étroites du système de l’absolutisme protecteur et éclairé ; il n’a pas un seul jour entrevu quel avenir prochain devaient enfanter les maximes du XVIIIe siècle ; la révolution n’a été à ses yeux qu’une insurrection suivie de succès. Professant, comme l’empereur Joseph II, que son métier était d’être royaliste, il refusait déjà en 1784, à Fersen et à Stedingk, la permission de porter l’ordre de Cincinnatus, qui leur avait été conféré en Amérique ; il ne comprenait pas que le roi de France eût accordé des secours à des sujets insurgés contre leur souverain légitime, et de fait Mme de Staël a bien remarqué, elle aussi, que le succès de la guerre d’Amérique a fort contribué à répandre parmi les Français les idées purement républicaines, avec une assimilation peu juste entre une ancienne monarchie et un pays sans traditions ni passé. Quand il apprend la réunion des notables et la prochaine convocation des états-généraux, Gustave III ne voit là qu’une importation ridicule et dangereuse des mœurs anglaises. Pour empêcher la prise de la Bastille, il ne fallait, suivant lui, qu’ordonner quelques charges de cavalerie, qui auraient nettoyé les rues et châtié les factieux. M. Necker n’est à ses yeux qu’un charlatan. M. de Staël a beau vanter son illustre beau-père ; en marge d’une dépêche du 9 juillet 1789, où les mérites de cet homme d’état sont exaltés, je lis cette note écrite par le roi de Suède : « Il faut demander au baron de Staël quel est le véritable plan de M. Necker, car je n’en vois encore d’autre que de briller en paraissant le modérateur du royaume, cela aux dépens du roi et de la France. » La Fayette a une bonne part de ses dédains, et c’est un chagrin pour le roi de Suède que ce général des Parisiens, comme il l’appelle, soit le neveu de sa fidèle amie Mme de Boufflers.

Sa correspondance, pendant qu’il est encore occupé de la guerre