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Grecs dévoués, enrôlés depuis la création du corps, anciens écumeurs de l’Archipel, surprirent le secret dans une partie de monte où les têtes s’étaient échauffées en présence de gros enjeux, et vinrent le livrer aussitôt à l’autorité. Le lendemain, dans la nuit du 5 avril, trois Espagnols, les premiers fauteurs de la conspiration, furent enlevés sans bruit, jetés aux ceps, et de là dirigés sur le fort de Saint-Jean-d’Ulloa. Le silence fut gardé sur leur sort ; le mystère de leur disparition subite frappa de terreur les autres conjurés, et tout rentra dans l’ordre.

Le moment d’agir était revenu cependant pour la contre-guérilla. Depuis quelques jours, la ville de Vera-Cruz vivait dans l’appréhension continuelle d’une attaque. Le 6 avril, le camp du chemin de fer de la Loma était assailli et détruit par la bande d’Honorato Dominguez, renforcée de tous les pirates des environs, dont le nombre s’élevait à près de trois cents. La dévastation des chantiers fut complète. La plume se refuse à retracer les atrocités dignes des cannibales qui marquèrent l’invasion de ces prétendus soldats de la liberté et de l’indépendance dans le camp des travailleurs : des femmes furent éventrées ; le boulanger, surpris au moment où il pétrissait le pain, eut la tête tranchée à coups de machete, et les bourreaux, ivres de liqueurs fortes et de pillage, continuèrent à pétrir eux-mêmes la farine avec le sang de ce malheureux. Le 7 avril au soir, des ordres arrivaient à Medellin. La contre-guérilla des terres chaudes devait partir en toute hâte pour aller protéger les travaux de la voie ferrée, qu’il fallait reprendre à tout prix. Le 8 au matin, elle se mit en route ; à midi, on entrait à Jamapa, où la cavalerie mettait en déroute un parti de guérillas en leur tuant quelques fuyards. C’était une troupe de lanceros nouvellement levés : dans leur empressement à monter à cheval, ils oublièrent quelques lances, sans doute trop incommodes pour la course.

Jamapa, centre assez important au point de vue politique, décoré sur les cartes du nom pompeux de ville, est une bourgade composée d’une trentaine de cases en bambou. C’était la résidence du fameux Antonio Diaz, alcade, chef politique et militaire de tout ce cantonnement. Sa correspondance fut saisie : on y trouva deux lettres de l’alcade de Medellin qui donnèrent une triste opinion de la fidélité de ce fonctionnaire, rallié en apparence à l’intervention. Jamapa a la forme d’une bouteille allongée, large d’environ 70 mètres sur 250 de longueur. Le fond de la bouteille est adossé au Rio-Jamapa. Le village, enveloppé de bois d’une végétation tropicale, est traversé par deux sentiers en croix. Vers trois heures du soir, un cri d’alerte est poussé par une grand’garde qui a failli être enlevée : la chasse est lancée à travers halliers et broussailles. Ce sont les