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maçonnerie peints en rouge, voilà cette ville. Comme tous les centres de la zone du littoral, elle est bordée de bois et forme presque entonnoir, grâce aux mamelons et aux gorges d’aspect sauvage dont elle est cernée. L’isolement de Cotastla, sa sombre ceinture de broussailles presque impénétrables, le silence de la ville et l’absence de tous les hommes qui avaient évacué les maisons pour courir au large, conseillaient des mesures de prudence pour la nuit. On n’alluma pas de feux de bivouac, et les cavaliers couchèrent sur la place à la tête de leurs chevaux, la bride passée dans le bras. Vers le 15 juin, dans la soirée, des Indiens porteurs de dindes et de grandes jattes pleines de graisse vinrent s’installer près du marché. Ils avaient tout l’air, à voir leurs yeux inquiets, d’émissaires chargés d’examiner les allures des Français et de s’assurer de leurs bonnes dispositions, ils demandèrent en échange de leurs marchandises des prix fabuleux qui furent payés intégralement. Ce dernier procédé leur sembla de bon augure, et quand ils se retirèrent le soir, riches de piastres facilement gagnées, ils firent un adieu cordial. Le 16, avant les premières lueurs du matin, les maisons de Cotastla s’animèrent, et le chef Osorio, précédé par le curé, suivi de tous les notables, se présenta chez le commandant français pour le remercier d’avoir épargné sa femme et ses filles, restées dans la ville. Une allocution des plus conciliantes adressée par le chef de la contre-guérilla à l’alcade offrant sa soumission fit bon effet sur les assistans. Le lendemain, la population, avisée de la conduite des Français, rentrait en masse. Un marché considérable étalait sur la place tous les fruits des terres chaudes. Les approvisionnemens pour la troupe abondaient, et la concurrence, en face des piastres bien sonnantes, avait créé des tarifs raisonnables[1]. À midi, dans la salle et sous les arcades de la municipalité, tous les habitans se réunirent d’eux-mêmes pour nommer un nouvel alcade. Le nom d’Osorio était dans toutes les bouches, sur l’avis même de l’autorité française ; mais le chef mexicain, avec une grande loyauté, déclara, séance tenante, « qu’il refusait pareil honneur, ses convictions libérales étant contraires à l’intervention ; » il ajouta « qu’il avait engagé sa parole de soldat de ne plus servir contre les Français. » Il tint parole. Le vote fut favorable à l’ancien alcade, don Juan Dominguez, que Cotastla s’était donné avant le débarquement des flottes alliées. Le 18 juin, un banquet réunit les fonctionnaires et les notables de Cotastla aux officiers de la contre-

  1. Bien sonnantes est le mot, car au Mexique, par suite de la grande quantité de fausse monnaie qui inonde le pays, pas un débitant ou négociant ne reçoit un petit ou gros paiement sans faire rebondir les piastres sur son comptoir, et notre amour-propre a dû céder devant cette mesure générale de prévoyance.