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Indiens et croyant la route sûre, s’engagea dans un fourré près de Loma Alta. Tout d’un coup, la guérilla du bandit Honorato Dominguez, suivie d’un escadron régulier sorti de Jalapa, entoura les malheureux en les accablant d’injures. Une lutte désespérée, où le chef du détachement fut tué du premier coup, commença entre les trois cents cavaliers et les vingt-six contre-guérillas. Les cinq fantassins, formés en petit carré, marchaient adossés les uns aux autres. L’un d’eux, le sergent Soliman, ancien turco, d’une force et d’une bravoure herculéennes, faisait le vide autour de lui en portant de terribles coups de crosse. Malgré tout, il tomba, ils tombèrent tous ; mais leurs corps étaient entourés de plus d’un cadavre ennemi. Les cavaliers, aveuglés par les lances et les coups de feu des Mexicains, chargèrent à plusieurs reprises. A chaque rencontre, ils étaient décimés. Deux seulement purent se faire jour par une trouée sanglante. L’un de ces cavaliers, nommé Abila, de la Martinique, se traîna dans les broussailles jusqu’à la Soledad, où il arriva la tête hachée d’un coup de sabre et l’épaule droite fracassée. Il a cependant survécu à ses blessures.

Une des incursions de la contre-guérilla donna lieu à une scène émouvante. Dans une course faite du côté de Cotastla, qui réclamait sans cesse l’appui des Français, fut fait prisonnier un certain Molina au moment où il facilitait la fuite des guérillas réunies dans sa tienda en coupant avec un machete les longes des chevaux attachés au coral pour hâter le départ des cavaliers surpris. La boutique de Molina servait de repaire à tous les bandits, qui y apportaient leur part de butin. Molina était connu comme très riche ; il achetait aux bandits les dépouilles des convois enlevés, les payait à vil prix, et les faisait revendre le plus cher possible sur les marchés de Vera-Cruz et d’Orizaba. On fouilla sa maison ; des lettres significatives établirent sa complicité avec les juaristes. Le colonel Du Pin condamna Molina et l’un de ses parens, son complice reconnu, à être fusillés séance tenante. La femme de Molina était présente à l’arrêt, elle demanda grâce ; mais le colonel ne pouvait l’accorder, et les deux coupables tombèrent sous ses yeux. Elle resta froide et impassible. La troupe se remit en route. Lorsque le colonel Du Pin fut à cheval, la femme de Molina se campa fièrement devant sa monture, et, la main levée, lui cria : « Avant huit jours, colonel, tu mourras ! » puis elle disparût, éclatant en sanglots.

Le 29 septembre, le colonel se rendit à Vera-Cruz pour y toucher la solde de sa troupe à l’intendance. Le 1er octobre au matin, il repartait en secret pour la Soledad. Il avait eu soin d’annoncer à haute voix la veille son départ par le train de deux heures du soir. Le même jour, à trois heures, le train du chemin de fer