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terre au sein de laquelle reposent les aïeux. Où ils sont enterrés, elles se fixent. Leur premier soin est de leur trouver une demeure assurée où ils continuent en paix leur vie posthume, et de s’établir auprès d’eux pour ne pas les laisser manquer des honneurs qu’ils réclament. Autour du foyer sacré, la maison s’élève ; autour de la maison, le champ qui contient les tombeaux des ancêtres ne peut pas changer de possesseur, et c’est ainsi que naissent le sentiment et le droit de la propriété. Si les fils en héritent seuls, c’est qu’à eux seuls est réservé le soin de perpétuer le culte de famille. La règle pour l’héritage, c’est qu’il suit le culte. Les filles en sont exclues parce qu’en se mariant elles renoncent au dieu du père pour suivre celui de l’époux. On voit donc que c’est la religion domestique qui fonda la propriété chez les peuples de race aryenne. La sépulture des aïeux amena l’union étroite, indissoluble de la famille et de la terre. De là vient le caractère qu’avaient la propriété et la demeure dans ces époques primitives. « Pour nous, dit M. Fustel de Coulanges, la maison est seulement un domicile, un abri ; nous la quittons et nous l’oublions sans trop de peine, ou, si nous nous y attachons, ce n’est que par la force des habitudes et des souvenirs, car pour nous la religion n’est pas là. Notre Dieu est le Dieu de l’univers, et nous le retrouvons partout. Il en était autrement chez les anciens. C’était dans l’intérieur de leurs maisons qu’ils trouvaient leur principale divinité, leur providence, celle qui les protégeait individuellement, qui écoutait leurs prières et exauçait leurs vœux. Hors de sa demeure, l’homme ne se sentait plus de dieu ; le dieu du voisin était un dieu hostile. L’homme aimait donc alors sa maison comme il aime aujourd’hui son église. »

Je ne puis pas suivre M. Fustel de Coulanges dans toutes ses déductions. Après avoir étudié isolément la famille et son organisation intérieure, il montre comment une réunion de familles a formé la tribu et une réunion de tribus a formé la cité. C’est encore ici la religion qui joue le principal rôle ; elle fonde la tribu et la cité, comme elle a fondé la famille. La tribu vénère un héros dont elle croit descendre, et la cité rend un culte à son fondateur. L’organisation primitive de la famille est leur premier modèle à toutes les deux, et dans la cité comme dans la maison l’autorité politique naît de l’autorité religieuse. M. Fustel de Coulanges aborde ensuite les transformations sociales que le temps amène dans la cité, les droits accordés aux cliens et aux plébéiens, l’autorité enlevée aux rois, les principes nouveaux que la démocratie établit dans les gouvernemens et dans le droit civil, les nouvelles croyances répandues par la philosophie, et il nous conduit ainsi jusqu’à la conquête romaine et au christianisme. J’avoue que cette partie de son ouvrage me plaît moins que la première. Du moment qu’il arrive en pleine époque historique, les faits et les idées abondent ; il est contraint d’être plus court. Il faut qu’il néglige beaucoup d’aperçus, et nous sommes réduits à un résumé. C’est bien peu de deux cents pages pour nous faire parcourir la série des révolutions qui amenèrent l’humanité de