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l’Italie avait sans doute inspiré Jehan Foucquet, et l’on voit qu’à son tour elle avait dû profiter des travaux du jeune maître. Six ans après la lettre de Florio Francesco, Raphaël venait au monde, rapprochement aussi périlleux qu’honorable. L’attention et l’enthousiasme que le voyageur florentin réclamait pour le peintre de Tours, toute une moisson de chefs-d’œuvre les lui enleva. Je ne m’étonne donc pas que le nom de Jehan Foucquet se soit bientôt effacé du souvenir des Italiens, quoique certaines paroles de Vasari semblent se rapporter à ses œuvres ; mais la France n’avait pas les mêmes excuses, et, encore une fois, comment se peut-il qu’un peintre de cette valeur n’ait été remis à son rang qu’après trois siècles d’oubli ? Il faut répéter ici les réflexions si justes de M. Ernest Renan dans son Discours sur l’état des arts au quatorzième siècle. « L’Italie a eu deux bonnes fortunes refusées à la France, celle d’avoir conservé intactes les œuvres de ses anciens artistes et celle d’avoir eu Vasari… Sans contredit, la France du XIIe et du XIIIe siècle posséda dans son sein un mouvement d’écoles comparable à celui de l’Italie du XIVe siècle, mais elle n’eut pas de narrateur légendaire pour ce grand développement. Ses génies créateurs ne nous sont guère connus que de nom ou par les chétives images qui nous les montrent sur le pavé de leurs églises sous l’humble manteau de l’ouvrier. La façon dont leurs œuvres furent traitées a été bien plus déplorable encore. La France a toujours eu le tort de détruire quand elle a voulu bâtir. Trois ou quatre fois au moins, la France a changé de face, et chaque fois elle s’est crue obligée de faire table rase du passé… L’Italie au contraire, même au temps de Raphaël, n’effaça jamais un Giotto. » Ainsi d’une part les œuvres des vieux maîtres détruites ou dispersées, de l’autre nul sentiment de respect pour ces traditions d’un autre âge, aucun récit qui les consacre, en un mot point de Vasari, telles sont les deux causes qui expliquent trop bien l’effacement de ces noms à qui la gloire était promise. Eh bien ! c’est précisément ce double mal qui est enfin réparé par la critique et l’art du XIXe siècle. Le nom de Jehan Foucquet reprend sa place dans l’histoire, et ses œuvres, rassemblées avec autant de soin que de patience, vont justifier à nos yeux les paroles enthousiastes de Florio Francesco.

Qu’était-ce donc que Jehan Foucquet ? Il était né à Tours vers 1415 ou 1420. Initié de bonne heure aux secrets de l’art chez les maîtres enlumineurs de sa ville natale, il dut se placer tout jeune encore au premier rang, puisque nous le voyons dès l’année 1440 appelé à Rome pour y faire le portrait du pape Eugène IV. Jehan Foucquet à cette date n’avait pas plus de vingt-cinq ans. Vasari signale un portrait de Charles VII peint à Rome à la même époque, et qui, selon toute apparence, était l’œuvre du même artiste. Les éloges que Vasari lui donne rappellent exactement les termes dont s’était servi Florio Francesco : tête peinte d’après nature, si belle et si bien traitée que la parole seule lui manque pour être vivante. Quel autre que Jehan Foucquet eût pu faire d’après nature un portrait de Charles VII ?