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C’est pourquoi la résistance de la foi musulmane a fatigué nos infatigables missionnaires. On n’essaie guère de convertir les Turcs. Nous possédons depuis trente-cinq ans un empire arabe ; nous avons tenté d’y propager tout, excepté notre religion. Jamais au sein de notre clergé lui-même l’idée n’a pris naissance d’aller évangéliser nos sujets sarrazins à l’ombre du drapeau tricolore. On a trop bien senti que ce serait se briser contre le roc et poursuivre une dangereuse chimère. Notre premier soin au contraire a été de protéger la religion des Arabes, et nous leur avons bâti des mosquées, quoique ce soit un péché grave, et même, je crois, un cas réservé qui ne peut être absous que par le pape.

Ce phénomène d’une foi si simple et si persistante, peut-être unique dans l’histoire religieuse de l’humanité, est certainement à la gloire de Mahomet, et il ferait même assez d’honneur à la nation sémite qui l’a offert au monde, si elle n’avait pas en partie compromis la persévérance et la fidélité de sa croyance par les préjugés puérils et odieux qu’elle y a mêlés avec le temps. Elle n’est point retombée dans l’idolâtrie, mais elle a prêté l’oreille à plus d’une légende miraculeuse que Mahomet n’a jamais autorisée, et son goût pour les talismans l’a conduite à attacher une vertu magique à des rites ou à des objets que rien ne sanctifie. Enfin de ce Coran, code de liberté morale et de fraternelle mansuétude, les musulmans sont parvenus à déduire le fatalisme, l’intolérance, le fanatisme persécuteur ; à côté de ses prescriptions d’une austère pureté, ils ont su découvrir des encouragemens aux sensualités des nations ou des sectes les plus corrompues. Ces déviations, ces dégradations doivent assurément être moins imputées à la religion de L’islamisme qu’aux nations qui l’ont reçue : celles-ci en effet appartiennent pour la plupart à une race des plus indomptables, des plus rebelles à toute nouveauté, à toute réforme. Entre les Arabes des temps antérieurs à Mahomet et ceux de nos jours, l’analogie ou plutôt la ressemblance est frappante. Ce n’est pas la moindre merveille de la vie de Mahomet que d’être parvenu à opérer en si peu de temps une révolution religieuse chez un peuple si réfractaire aux révolutions. Il a fait plus : il a donné une telle impulsion au génie des siens que du même coup cette race, dissoute en peuplades errantes, en tribus éparses, est devenue une nation puissante, et le mouvement qui procédait de lui, secondé par ses habiles successeurs Aboubekr et Omar, a produit une brillante monarchie, celle des califes, que n’a jamais égalée celle des hôtes de Stamboul. En même temps une littérature a pris naissance ; on n’a commencé à écrire des livres arabes que dans le siècle de l’hégire. Bientôt le goût et l’étude des sciences gréco-latines se prononça parmi ces