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dans les temps modernes ; mais l’esprit du spinozisme est infirment plus libre, plus large, plus capable de s’accommoder à la diversité infinie des intelligences, plus facile aussi à saisir dans la généralité des idées qui le résument et le traduisent pour tous ceux qui ne font pas de l’étude de la philosophie une étude de précision. Voici quelques-unes de ces idées qui constituent une sorte de spinozisme à l’usage des profanes. C’est, par exemple, ce principe qu’il faut bien se garder de rien déterminer en Dieu, que déterminer Dieu, ce serait le limiter et le détruire, qu’il faut l’adorer comme l’Ineffable sans ajouter un mot à ce nom qui est le vrai. Ou bien encore ce sont ces maximes : que l’infini est le tout, qu’il n’y a rien hors de la substance, que l’être infini est tout l’être, qu’il est cela même en dehors duquel il n’y a rien, qu’il n’y a d’autre absolu que l’universalité des choses, que la substance est unique et qu’il y a contradiction et scandale pour la raison à essayer de concevoir la pluralité des substances, — que Dieu et le monde sont un seul et même objet conçu sous deux aspects différens, ici dans l’unité de son essence intelligible, là dans la multiplicité de ses déterminations, Dieu n’étant que le monde vu du côté des idées, le monde n’étant que Dieu vu du côté de la réalité, — que la nature n’est ainsi que la vie divine, le développement nécessaire, la manifestation de Dieu. Enfin ce sont ces axiomes du déterminisme absolu, à savoir que l’ordre qui règne dans le monde est l’harmonie nécessaire résultant des actions et des réactions des phénomènes entre eux, que tout ce qui est doit être et a sa raison d’être, qu’il n’y a pas plus de place pour la liberté, la noble chimère des métaphysiciens, que pour le hasard, la triste idole des épicuriens, que la contingence est une pure illusion aussi bien dans le monde de la conscience que dans le monde des sens, les deux mondes n’en formant qu’un seul, régi par une loi unique, qu’ainsi la vraie piété consiste à adorer Dieu, dans le monde et la vraie sagesse à se résigner à l’ordre universel, lequel, n’ayant rien d’arbitraire, n’humilie personne, à subir la loi des choses qui n’admet pas de résistances, écrase les obstacles chimériques de l’orgueil rebelle sans, même les connaître, et demande comme seul culte raisonnable à la moralité de l’homme de savoir se soumettre à la divine fatalité.

Voilà le spinozisme dans son inspiration générale, le spinozisme exotérique. C’est l’esprit du système, moins le système. Tel nous l’avons vu renaître parmi nous. Le spinozisme contemporain, celui qui tend à prévaloir dans les esprits, est un naturalisme plus ou moins scientifique, plus ou moins poétique, selon la diversité des intelligences, bien plutôt que la sévère doctrine du Juif hollandais. En Allemagne, au temps de Goethe, on vit s’accomplir le même phénomène, la renaissance du spinozisme, mais transformé. Comme