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Page:Revue des Deux Mondes - 1865 - tome 59.djvu/90

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M. Barthélémy Saint-Hilaire, avec le bon conseil, a donné le bon exemple. Il a cependant l’esprit trop libre et trop sincère pour n’avoir pas fourni en même temps la preuve que l’accord et l’entente ont leurs limites, et qu’autre est d’écrire philosophiquement, autre d’écrire chrétiennement. Il veut la concorde, il y exhorte, il est maître de sa plume ; il a la mesure, la bienveillance, l’habileté, et j’espère que, grâce à la disposition actuelle des esprits, il sera entendu de ceux à qui il s’adresse. De bonnes intentions répondront à ses bonnes intentions ; mais enfin quand il dit que les religions sont l’œuvre collective de peuples entiers, que ce sont des peuples qui ont écrit leurs livres, que, même quand elles se personnifient dans un homme, les grandes individualités ne sont que l’expression et le reflet de tout ce qui les entoure et les soutient, lorsqu’il ajoute que la philosophie pas plus que la religion ne peut présenter la vérité d’une manière absolue et définitive, il est bien près de faire de la religion une chose humaine et de lui refuser l’infaillibilité. Si, comme il l’écrit, la philosophie ne connaît pas la distinction des vérités naturelles et des vérités surnaturelles, quel point d’appui laisse-t-elle à la religion ? Enfin, si la philosophie est comme une religion individuelle, tandis que la religion est la philosophie des nations, que répondre à ceux qui disent plus lestement : « La religion est bonne pour le peuple ? » Tout serait facile en effet, si la seule question qui pût s’élever à propos d’une religion était celle-ci : Est-elle utile ? est-elle respectable ? est-elle belle ? C’est cette question seulement que M. Saint-Hilaire paraît avoir en vue. À cette question la réponse est aisée, et quand il s’agit du christianisme, l’affirmative va de soi.

Mais il est une autre question plus grave, plus essentielle, qui surtout, à certaines époques, se pose inévitablement, et la voici : La religion est-elle vraie ? Oui, répond le philosophe, dans tout ce qu’elle a de commun avec la philosophie. Sur tout le reste, il se récuse. C’est à merveille, si le bonheur veut qu’il soit également philosophe et chrétien. Autrement nous venons de voir comment la liberté de penser se trahit malgré tous les ménagemens. On peut recourir, je le sais, aux réticences et aux équivoques pour laisser dans l’ombre toute radicale dissidence. Cet art de s’accommoder aux susceptibilités de celui qu’on veut désarmer, d’envelopper sa propre pensée pour la rendre moins blessante, il y aurait trop de sévérité à l’appeler hypocrisie ou mensonge ; cependant ces délicatesses sont en effet des réticences et des équivoques, et l’art est toujours bien près de l’artifice. On ne peut guère blâmer la sincérité hardie qui ne voudrait pas s’y astreindre. Il est vrai que le commerce des hommes impose à chaque instant des ménagemens