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leur profil qui se découpe là-haut sur le ciel ; on dirait un ravin désert, lit desséché d’un torrent. Je ne vois pas encore d’étoiles ; c’est bien là pourtant le ciel de la nuit, — nuit sans lune, calme et pure, animée d’une douce lueur bleue. Vous faites un pas ; regardez bien, que voyez-vous briller là-haut comme une étoile qui scintille et disparaît ? Ne croyez-vous point voir passer sur le ciel des nuées blanches et légères ? Comme le silence est profond ! Quelle immobilité dans cette nuit sereine ! Quelle est donc cette contrée aride, muette, désolée, où la nature perd jusqu’à ce vague et léger murmure qui accompagne son sommeil ? Vous écoutez, vous retenez votre haleine, — non, pas un bruit ; pas un souffle, pas une brise tiède et vivifiante dans cet air glacé. Vous vous taisez, comme si votre voix n’y pouvait retentir. Vous vous croiriez sur une de ces planètes mortes et nues où la nature minérale règne au sein d’une solitude silencieuse et terrible, sur quelque terre que le soleil n’échauffe pas et où il n’anime aucun germe de vie.

Voici le secret de cette fantasmagorie : la voûte de la salle est d’une autre pierre que les murailles, d’un gypse noir à reflets verdâtres et tout couvert de cristallisations étincelantes. Le guide vous poste dans un coin sombre : lui-même descend dans un trou et dirige sur le ciel la lumière de sa lampe. Vous n’y voyez briller que quelques rares étoiles ; puis il s’en va par une galerie latérale et vous laisse un peu de temps solitaire dans la nuit noire. Bientôt vous entendez des pas retentir au loin sur le rocher sonore ; une faible lueur apparaît, puis l’homme lui-même tenant à la main le soleil. Aussitôt le ciel s’illumine : les étoiles apparaissent par myriades et forment des groupes, des nébuleuses, de longues bandes lumineuses comme la voie lactée ; l’illusion ne saurait être plus complète. Voulez-vous maintenant la dissiper : le guide allumera un feu de bengale, qui d’abord fera jaillir là-haut des fusées d’étoiles, mais dont les dernières flammes, plus perçantes, vous montreront le ciel véritable et sa vitreuse surface verte.

Je ne vous parle pas des rochers, des dessins naturels, des monstres fantastiques que l’imagination populaire a baptisés de mille noms expressifs : ici c’est le cercueil, là l’éléphant, le chat, le fourmilier, puis le géant, sa femme assise sur la pointe de ses pieds, et leur enfant en l’air, avec lequel ils jouent à la balle. Il y a six heures que nous errons dans ces catacombes. Enfin voici un rayon jaune qui se glisse là-bas par une fissure ; voici les parois du rocher qui brillent comme de l’or, puis comme un monceau de neige éblouissante en face de nous. Verdure, pierre, gazon, tout dégage une lumière éclatante et surnaturelle. Je chancelle aveuglé ; la terre, que je foule étincelle ; mille bruits joyeux m’assourdissent. Voilà