Page:Revue des Deux Mondes - 1865 - tome 59.djvu/915

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Cincinnati ; mais l’ouest est gravement menacé par les rebelles. Les trois expéditions concertées de Smith, de Shelby et de Price bouleversent l’Arkansas et le Missouri. A Saint-Louis, les affaires ont été suspendues : on enrôle dans la milice tous les hommes de seize à soixante ans. Price traîne à sa suite un certain Reynolds, qu’il prétend établir gouverneur dans Jeffersonville à main armée. Il a déclaré qu’il ne ferait quartier à personne, et pend, fusille, brûle méthodiquement. Jamais ce pays accoutumé à tant d’horreurs n’avait vu guerre si sauvage, car si le sud fait une défense héroïque, c’est l’héroïsme sanguinaire d’un tigre acculé.

Les conspirations continuent. Le général Hovey, qui commande dans l’Indiana, vient de faire arrêter Richard Barret, du Missouri, Josuah Bullit, du Kentucky, et le général Bowles, de l’Indiana, tous membres de l’ordre secret des fils de la liberté et impliqués dans le procès d’Harrison Dodd[1]. La société secrète semble avoir passé dans les mœurs politiques du pays : ce n’est pourtant pas faute de liberté. On comprend la conspiration sous le règne d’une loi despotique qui provoque la rébellion cachée en forçant l’opposition publique à se taire ; mais dans un pays où la presse, où la parole sont libres, où les citoyens peuvent s’assembler et s’associer entre eux, où la licence de la discussion va jusqu’à prêcher la guerre civile, les sociétés secrètes sont une anomalie inexplicable et propre à faire douter des vertus de la liberté. Tout ce qu’on peut dire, c’est qu’elles ne font aucun mal, et qu’il a fallu le trouble de la guerre civile pour donner à ces affiliations inoffensives le caractère dangereux et criminel dont on s’alarme aujourd’hui. Le gouvernement fédéral fait d’ailleurs bonne défense au moyen de la nouvelle autorité militaire et des tribunaux de guerre exceptionnels qu’il a institués. Devant l’inaction ou la malveillance des pouvoirs locaux, nommés souvent en opposition à sa politique, il a dû envoyer dans chaque état un général dont l’autorité, appuyée sur les baïonnettes, s’exerce à côté et parfois en dépit des lois. Les copperheads ont beau jeu contre un système dont les unionistes eux-mêmes savent trop bien les inconvéniens. Ils crient à la constitution violée ; l’arbitraire donne aux actes les plus justes un air de tyrannie. Qu’ils y songent pourtant, ces démocrates extrêmes, ces admirateurs absolus du système fédéral et de l’anarchie de tous les pouvoirs, c’est justement dans un pays comme l’Amérique que l’abus dont ils se plaignent devient le plus vite une nécessité.

  1. Voyez la Revue du 15 septembre.