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Page:Revue des Deux Mondes - 1865 - tome 59.djvu/961

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lui, dès la première entrevue, la renonciation à ses entreprises insensées. Ils demandèrent à être conduits jusqu’à leur province, il leur serait impossible de parvenir par terre, à travers le territoire taïkounal. Cet incident inattendu, les chances, fort précaires, il est vrai, de conciliation qu’il faisait entrevoir, suggérèrent aux ministres européens l’idée de rapatrier les deux officiers sur un navire qui ferait en même temps la reconnaissance de la côte de Nagato et s’assurerait des véritables intentions du prince. La corvette la Barossa, accompagnée de l’aviso le Cormorant, partit donc pour la Mer-Intérieure avec les deux Japonais. Le chef d’état-major de notre division navale prit passage à bord de la corvette anglaise : sa connaissance des lieux y rendait sa présence opportune. Après avoir déposé les deux Japonais sur l’île d’Himesima, où ils nous donnèrent rendez-vous pour dix jours plus tard, la Barossa et le Cormorant se dirigèrent vers l’entrée intérieure du détroit de Simonoseki.

La côte nord du détroit, depuis le point où la Sémiramis avait opéré un débarquement l’année précédente jusqu’à la ville, apparut cette fois armée de nombreuses batteries. Autant qu’on pouvait le constater de loin, les défenses avaient été considérablement accrues. Sur l’emplacement où les bâtimens français avaient mitraillé la colonne japonaise accourant de la ville, à la place d’un village bâti sur la rive, s’élevait un grand ouvrage ayant la forme d’un double redan, où des travailleurs achevaient de poser les traverses. A l’approche du Cormorant, qui portait les officiers en reconnaissance, des drapeaux avaient été arborés sur les parapets, les Japonais s’étaient portés aux pièces sur toute la longueur de la côte, et en manière de défi la grande batterie avait tiré quelques coups de canon ; des obus étaient venus éclater à la surface de l’eau au milieu même de la passe. La côte sud, comme jadis, parut désarmée.

Après deux reconnaissances et quelques travaux hydrographiques, les bâtimens étaient retournés au mouillage de l’île. Les deux officiers japonais ne manquèrent pas, à l’heure dite, au rendez-vous. Ils avaient déjà quitté l’habit noir pour reprendre le costume national et les deux sabres ; mais, chose singulière, ceux qui avaient vu partir dix jours auparavant deux jeunes gens à l’esprit ouvert, communicatif, enthousiastes de l’Europe et de ses libertés, retrouvaient à leur place deux véritables Japonais, à l’air diplomatique, aussi rusés et impénétrables que leurs compatriotes. Après mille précautions destinées à donner à leurs paroles l’importance d’un secret, ils se contentèrent de rapporter au sujet des intentions du prince de Nagato des allégations vagues et vides de sens. On ne put rien en tirer de mieux : peut-être leurs conseils