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peau de l’Union devant une minorité rebelle, ils n’en auraient pas le droit.

Nous faisons voile demain pour le nord. Nous remontons l’Hudson jusqu’à Catskill, une sorte de Righi américain où l’on ne monte point encore en chemin de fer, et d’où la vue se repose d’habitude sur un océan de nuages.

Saratoga, 25 juillet.

Figurez-vous un pays plat, sablonneux, insignifiant, un grand village bâti en planches et coupé de longues avenues : c’est Saratoga, lieu d’eaux et de plaisir qui est un peu le Vichy de l’Amérique. A la porte de la gare s’élève une énorme baraque de bois et de briques mêlées : c’est l’United States hotel, rendez-vous du monde élégant de Saratoga. Vous entrez par une sorte de porche en madriers dans une cour plantée d’arbres, bordée de deux immenses ailes, fermée d’un côté par le chemin de fer, de l’autre par un vaste bâtiment blanc. Une galerie couverte, où aboutissent d’innombrables escaliers, fait le tour de l’enclos. Au fond s’ouvrent les fenêtres d’une salle à manger colossale et d’un salon encombré de femmes en toilette. les corridors intérieurs ressemblent à ceux d’une prison. Les appartemens sont misérables, à peine meublés : chaque chambre a des murs blancs peints à la colle, deux chaises de bois et une armoire grossière en planches rudes. C’est au milieu de ce dénûment que s’agite une population parée, désœuvrée, en gilets blancs et en robes de soie. La journée se passe dans le salon, où l’on s’assemble par centaines, où les uns piétinent et les autres s’asseoient par groupes. Il s’élève du promenoir un grondement confus de pas et de voix mêlés ; c’est comme une basse continue sur laquelle se détache à l’heure des repas un épouvantable cliquetis d’assiettes, de couteaux et de verres. Enfin, pour compléter le vacarme, une bande de musique vient deux fois le jour s’établir sous les arbres et corner des airs de danse avec accompagnement des cloches du chemin de fer et du rugissement des locomotives. Le soir paraissent des robes de bal et quelques rares habits noirs. La musique alors se retire dans une grande salle nue, meublée seulement de chaises de bois, où elle résonne sans repos ni trêve jusqu’à une heure avancée de la nuit. Les hommes se rassemblent au bar-room et causent d’affaires ; l’hôtel est comme une bourse à l’usage des négocians qui viennent de New-York y passer le dimanche en famille. Enfin c’est le plus affreux pêle-mêle qu’ait encore inventé la civilisation sous prétexte de plaisir. Les Américains appelaient cela la campagne ; cette caserne ouverte au monde entier, cette vie de troupeau entre le bal et la locomotive, leur représentent le bonheur des champs. J’exècre les lieux dits de plaisir où nos mon-