Page:Revue des Deux Mondes - 1865 - tome 59.djvu/989

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

nécessairement développé l’esprit d’ambition ; la fréquentation journalière et immédiate des hautes classes diminue pour eux le prestige presque sacré qu’elles exercent sur les classes inférieures. C’est donc parmi eux que pourrait germer tout d’abord l’esprit d’indépendance.

Il ne faut pas compter, pour la transformation de la société japonaise, sur l’influence du christianisme, au moins dans les conditions actuelles. Admis par les traités à exercer le culte chrétien pour leurs coreligionnaires, les missionnaires trouvent à la porte de leurs temples une barrière invisible, mais infranchissable, qui ferme absolument le Japon à leurs efforts[1]. Au lieu d’y préparer, comme il pourra le faire en Chine et dans certaines autres contrées, un nouvel ordre de choses, le christianisme ne s’y introduira qu’après cette transformation accomplie. Jusque-là, le rôle de nos missionnaires se réduira donc à l’étude, féconde en enseignemens, de la langue et des institutions nationales. L’économiste devra se féliciter de cette transformation lente, mais sûre, du Japon, qui jettera dans le grand courant industriel les ressources immenses d’un vaste territoire. Le gouvernement japonais conserve avec un soin jaloux ces ressources, et d’une main parcimonieuse dispense aux commerçans étrangers ce qu’il est contraint de donner pour suivre la lettre des traités qui le lient ; mais laissons-lui le loisir d’apprécier les bienfaits de notre civilisation et les avantages qu’il peut retirer d’un commerce libre de toute entrave. En même temps efforçons-nous, par une politique à la fois ferme et franche, de le maintenir dans l’observation de ses devoirs et d’écarter de son esprit la crainte de la conquête. Nous verrons peu à peu tomber les barrières qui se sont brusquement élevées autour de nos comptoirs au Japon dès le lendemain de leur création, et les brillantes espérances conçues prématurément lors de la signature des traités de 1858 se réaliseront enfin : l’ouverture de l’empire du Grand-Nipon sera un fait accompli.


A. ROUSSIN.

  1. Dans les premiers temps de leur arrivée au Japon, les missionnaires cherchèrent à faire secrètement des prosélytes ; mais les indigènes qui avaient paru les écouter ne tardaient pas à disparaître sans qu’il fût possible d’avoir de leurs nouvelles. Les missionnaires ont dû renoncer entièrement à toute tentative de ce genre.