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sans crime s’insurger contre un gouvernement oppresseur, c’est lui attribuer en effet la décision suprême et laisser le pouvoir sans garantie. Les autres disent qu’interdire la résistance à la tyrannie, c’est encourager le tyran à multiplier ses attentats et proclamer qu’il n’existe pas de droits en dehors des siens. Pressé entre ces argumens contradictoires, l’esprit humain, l’esprit de ceux qui cherchent sincèrement la vérité, se trouve livré à une véritable torture, et pour les jeunes gens surtout, lorsqu’ils sont enclins aux recherches spéculatives, c’est là une cruelle épreuve, une source d’angoisses auxquelles ils n’échappent trop souvent qu’en se jetant les yeux fermés dans les distractions de la vie pratique, avec l’espérance vague que ses enseignemens leur révéleront plus tard la vérité que la pure théorie n’a pu leur faire découvrir.

On ne saurait trop se dire, pour échapper à ces dangereux entraînemens, que toutes les idées absolues sont fausses, parce qu’elles sont incomplètes, ou, ce qui revient au même, parce que l’esprit humain n’est pas constitué de manière à en comprendre la véritable portée, en sorte qu’il en tire nécessairement de fausses conséquences. Ce qu’il faut en conclure, c’est que, dans cet état de demi-obscurité où nous sommes condamnés à vivre, le bon sens nous interdit de supposer, entre les croyances et les doctrines des hommes, lorsqu’elles nous paraissent erronées, et leurs intentions, leurs actes, leur moralité, une liaison qui pourrait bien n’être de notre part que le résultat d’un vice de raisonnement. Il nous appartient sans doute de juger à notre point de vue les idées des autres, mais nous n’avons pas le droit d’affirmer qu’elles ont dans leur esprit des conséquences contre lesquelles ils protestent, ni de prétendre qu’elles ne sont pas sincères. C’est là le principe de la tolérance, en d’autres termes de la justice, et c’est pour s’en être involontairement départi que M. Rosseew Saint-Hilaire me semble avoir manqué d’équité envers le catholicisme. Je reconnais d’ailleurs que l’entraînement auquel il a cédé quelquefois est bien difficile à éviter pour quiconque professe, comme lui, de fortes croyances, que la tactique qui consiste à opposer à un système les absurdités dans lesquelles on tombe infailliblement en le poussant à l’extrême est trop commode, trop spécieuse, pour ne pas séduire presque tous les esprits, qu’il n’est guère de polémique où tout le monde n’y ait successivement recouru, et je serais bien étonné si moi-même, qui la combats ici, je ne l’avais plus d’une fois mise en pratique ; mais plus elle offre de tentations, plus il importe d’en signaler l’injustice et les périls.

Le règne de Philippe II, raconté dans les derniers volumes de M. Rosseew Saint-Hilaire, clôt en quelque sorte ce qu’on peut appeler l’âge héroïque de l’Espagne. La défaite de la grande armada