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Page:Revue des Deux Mondes - 1865 - tome 60.djvu/1053

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train de scandaliser tant de lecteurs. J’oserais affirmer qu’on calomnie l’auteur lorsqu’on attribue ses nouvelles poésies à un accès de cette sensualité maladive qui sévit quelquefois, aux approches de l’âge austère, même chez les personnes dont la vie fut toujours la plus prudente et la mieux réglée. Le poète a obéi à un mouvement d’ambition excessive, et non à une émotion vulgaire des sens. Ce n’est pas pour le plaisir équivoque de promener son imagination sur des sujets chatouilleux, ni pour la satisfaction d’une fatuité rétrospective, qu’il a créé cette longue galerie de petits tableaux galans : c’est tout simplement parce qu’il ne faut pas qu’il y ait une seule corde de l’âme humaine que sa main n’ait fait résonner, depuis la plus haute jusqu’à la plus basse, depuis la plus éclatante jusqu’à la plus sourde, depuis la plus suave jusqu’à la plus criarde. Il lui faut la lyre entière, et non-seulement la lyre entière, mais les trois Grâces, les neuf Muses, les Jeux, les Ris, Hébé et Momus. Il semble s’être dit que la gloire d’un Virgile et celle d’un Horace étaient incomplètes, prises isolément, que le génie du vrai poète était de pouvoir tout exprimer, que la couronne du poète devait être faite de tous les rayons. Partant de ce principe, dont il ne s’est jamais un seul moment écarté pendant toute sa carrière, il a compté un beau jour les sentimens humains auxquels il s’est successivement attaqué, et il a trouvé qu’il y en avait un, le plus modeste et le plus léger de tous, qu’il n’avait pas encore fait vibrer, soit par oubli, soit par dédain : la sensualité facile de la première adolescence ; Il a pensé qu’une peinture de cet âge heureux de la vie serait un contraste aimable aux peintures éclatantes ou terribles de ses dernières productions, et voilà comment et pourquoi, après les fanfares héroïques de la Légende des Siècles et les sombres tableaux des Misérables, M. Hugo nous donne aujourd’hui une série de petites odes sur des pâmoisons et de petites chansons sur des jouissances, pour employer l’expression de La Bruyère.

M. Hugo ne s’est peut-être pas assez rendu compte de la monotonie et de la stérilité relative du sentiment qu’il choisissait. Il ne s’est pas dit qu’il se trouverait à l’étroit en pareil sujet, et que tout l’art du monde n’en tirerait pas un recueil lyrique considérable, attendu que la matière manque. Autre chose est en effet d’exprimer les sentimens personnels qui sont l’âme véritable de votre vie ou d’essayer un tableau d’une période de la vie humaine. Dans le premier cas, l’inspiration est intarissable ; dans le second, elle est nécessairement limitée et s’arrête bientôt. Horace aurait pu faire éternellement des odes en l’honneur de Lydie ou de Chloé, et Pétrarque aurait pu faire éternellement des canzoni et des sonnets