Page:Revue des Deux Mondes - 1865 - tome 60.djvu/1074

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

quelque sorte une seconde Prusse sur les flancs. C’était la conception chérie du cabinet anglais et de son représentant opiniâtre, lord Castlereagh. Grâce au courageux soulèvement des Belges, grâce aux inspirations généreuses de 1830, la sainte-alliance fut condamnée à voir démanteler sous ses yeux ce poste avancé du royaume des Pays-Bas qu’elle avait voulu construire contre nous, — et comme c’était l’époque où lord Grey avait fait entrer des idées morales dans le gouvernement de l’Angleterre, un ministère libéral anglais nous aida à défaire l’ouvrage de lord Castlereagh. Nous le répétons, même au point de vue des intérêts extérieurs de la France, la création de la Belgique a été une transaction politique considérable, et on n’en a guère connu depuis lors qui l’ait égalée par la générosité des motifs et l’importance durable des résultats obtenus.

Parmi ces résultats, un des plus heureux est assurément la vitalité démontrée d’un peuple qui a maintenant, pour ainsi dire, la liberté dans le sang, et qui a tiré aux yeux du monde un si grand profit de ses institutions démocratiques et représentatives. Aucun péril intérieur ne menace la Belgique : les deux ardens partis qui la divisent ne sont point en dissidence sur le fond des institutions ; ils placent l’indépendance nationale et les libertés publiques au-dessus des intérêts pour lesquels ils combattent ; un deuil national qui attire sur eux les regards du monde suffit, on le voit en ce moment, pour les réunir dans une imposante unanimité ; n’ayez pas l’idée qu’aucun d’eux, pour soutenir sa querelle, aura jamais le lâche désespoir de livrer la patrie à l’étranger. Enfin il n’y a point à craindre que le nouveau roi, un fils de Léopold, oublie l’exemple qui lui a été donné, et se laisse aller, par une revendication surannée des prérogatives de la couronne, à jeter le trouble dans le jeu naturel des institutions intérieures. Un peuple qui n’a rien à redouter de lui-même dans son gouvernement intérieur semble être armé déjà d’une suffisante sécurité. L’existence de la Belgique est-elle aussi bien protégée contre les accidens extérieurs ? C’est le point sur lequel des doutes se sont élevés dans ces derniers temps, quand on a vu par l’exemple du Danemark que la force morale des traités ne défendait plus en Europe les faibles contre les puissans, doutes qui devenaient plus inquiets à mesure qu’on voyait approcher le terme de la carrière du roi Léopold.

Pour peu qu’on y songe, ces inquiétudes paraîtront mal fondées. La Belgique ne pourrait cesser d’exister que de deux manières : ou bien si elle devait aspirer elle-même à fondre entièrement ses destinées dans celles de la France, ou si elle était entraînée dans les combinaisons militaires qui accompagneraient une perturbation générale de l’équilibre actuel de l’Europe. La première hypothèse, celle d’une annexion volontaire, ne pourrait elle-même se réaliser sans des mouvemens politiques qui se feraient sentir à tout le continent. Examinons-la cependant en dehors de tout préliminaire ou corollaire européen. Il est manifeste, dès le premier aspect des choses, que dans la situation intérieure actuelle de la Belgique et de la France l’as-