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honnêtes et persévérans réfugiés, les fuorusciti de notre histoire. Une pensée semblable vient à l’esprit quand on considère ces petits peuples français de Belgique et de la Suisse romane qui ressemblent à des fragmens détachés de notre système et qui ont acquis une vie propre et indépendante. On dirait des colonies séparées de la métropole, quelque chose d’analogue en petit à ce que les États-Unis sont à l’Angleterre. Échappées aux servitudes de notre histoire, ces heureuses communautés nous précèdent comme des avant-gardes, nous provoquent à émigrer de nos routines, et font reluire devant nous quelques-unes des qualités que nous ne devons point désespérer de posséder un jour. Il est donc d’un vrai patriotisme de leur souhaiter bonne chance et longue vie.

Il n’y a point à discuter l’hypothèse de l’avenir de la Belgique dans un ébranlement qui changerait en Europe l’équilibre des territoires. Rien, grâce à Dieu, n’annonce l’imminence d’une pareille perturbation, dont les conséquences déjoueraient d’ailleurs les prédictions de tous les prophètes. Cependant il ne faut pas se lasser de le rappeler, une seule chose rend encore possible ce terrible jeu des ambitions territoriales et des guerres arbitraires de conquête, c’est l’absence d’une liberté intérieure suffisante au sein des grands états continentaux, c’est cette façon de gouverner à la lanterne sourde qui laisse la paix du monde à la merci des caprices ou des combinaisons secrètes de tel ou tel potentat. Avec des peuples éveillés, voyant clair dans leurs affaires, admis à en contrôler efficacement la conduite, ce péril des ambitions absurdes et inhumaines, des intrigues mystérieuses et des surprises diplomatiques, n’existerait plus. En cela, on peut le dire sans faux orgueil, la France tient en ses mains le sort de l’Europe. Qu’elle fasse un pas en avant dans la voie libérale, et dans tous les pays de l’Europe, même en Russie, où la noblesse de Moscou demande le régime représentatif, la liberté fera irruption sur les despotismes mal déguisés qui nous énervent et nous épuisent ; l’ascendant populaire s’imposera aux vieilles politiques des cabinets, les ambitions territoriales n’auront plus de sens et perdront toute force. Il est visible depuis longtemps, depuis les affaires de Pologne et de Danemark, depuis l’échec du projet de congrès proposé par l’empereur, que la seule bonne politique étrangère pour la France est de hâter en Europe l’avènement du régime représentatif large et sincère, et que par conséquent c’est à nous de donner l’impulsion générale par un exemple éclatant et retentissant. En dehors de cette régénération intérieure, il n’y a plus, sous une morne couche d’ennui, qu’un alanguissement universel qui laisse place aux coups de tête ; il n’y a point de sécurité certaine et durable, point de confiance clairvoyante dans l’avenir.

Quel contraste entre la Belgique sereine dans son deuil et s’apprêtant à saluer avec un consentement réfléchi son nouveau chef couronné et la malheureuse Espagne qui fait un si mauvais usage de ses institutions parlementaires si tristement faussées ! On éprouve un singulier embarras à