des rapports du moral et du physique, à fréquenter les régions où la physiologie et la psychologie se confondent. Ce n’est pas qu’il se méprît sur les difficultés. Il écrivait un jour, au moment de suppléer Blainville dans sa chaire : « Enfin je vais avoir un public ! je lui parlerai gravement de ce que je ne sais pas, de ce qu’on ne saura jamais peut-être. Voilà une affaire bien importante… Allons, d’autres lancent leur citadelle dans les eaux de la mer, moi je vais élever la mienne sur les nuages. Nous sommes dans le siècle des grands aéronautes !… » Mais c’était une raison de plus pour redoubler d’exactitude, de circonspection, de précision, de curiosité hardie dans l’étude des phénomènes naturels, et c’est sur cette solide base de l’observation, de la science expérimentale qu’il asseyait sa forte doctrine. C’était en un mot, chose qui n’est pas déjà si commune parmi les anatomistes de profession, un spiritualiste sincère et résolu, d’instinct et de conviction, un spiritualiste expérimental. Cette croyance lui portait bonheur : elle répandait sur ses travaux je ne sais quelle couleur généreuse ; elle animait ses recherches de je ne sais quel feu intérieur ; elle lui donnait cet accent qui devenait si facilement éloquent, lorsque, multipliant les preuves et les démonstrations, il arrivait à marquer les signes organiques de la prééminence de l’homme dans l’ordre de la création, et dans l’homme la prééminence de la pensée, de la partie immatérielle, — ou lorsque, démontant, démêlant tous les ressorts de la machine humaine, il montrait dans le jeu extérieur des organes l’expression visible de la nature morale. Gratiolet était maître de ces problèmes. Il les approfondissait par une étude scrupuleuse, il les fécondait par une intelligence inventive, il les colorait par l’imagination, et il les rendait ainsi saisissables pour le public sans en altérer la grandeur. C’est l’immense différence entre les vulgarisateurs de second ordre, même habiles, et cet éminent esprit. Les vulgarisateurs ordinaires diminuent et abaissent la science, sous prétexte de la populariser et de la mettre à la portée de tous. Lui, il la faisait comprendre en l’éclairant d’en haut ; il s’était donné pour idéal de l’animer sans lui rien ôter de sa sûreté, et cet idéal, il le réalisait avec une supériorité charmante dans cette leçon sur la physionomie devenue un livre fait pour nous, ignorans et profanes, comme pour les savans, et où le sculpteur, le peintre, le comédien lui-même, peuvent trouver de profitables leçons. Ce n’est plus l’empirisme d’autrefois, déchiffrant au hasard les signes extérieurs ; ce n’est plus même seulement la physiognomonique de Lavater, cherchant par un procédé moins douteux, quoique conjectural encore, les caractères et les inclinations dans la forme des traits et le dessin d’un visage ; c’est une science nouvelle, coordonnée, qui a ses lois, ses règles, dégagées de l’étude attentive des mouvemens d’expression, non-seulement du visage, mais de tout l’organisme. C’est la philosophie de cet autre langage complexe, mystérieux, mais aussi éloquent et non moins significatif que la parole elle-même. Tout s’enchaîne et tout vit dans cette substantielle leçon.
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