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a épousé la veuve du fameux Lavoisier. Je me procurai les mémoires par lesquels Thomson avait captivé la confiance et la faveur exclusive de l’électeur en lisant les préambules de ceux qui traitent de la guerre, des finances, de l’administration intérieure, des hôpitaux, des manufactures, etc., je croyais lire les préambules emphatiques de M. Necker, et j’y retrouvais tous les principes philosophiques de ce Genevois. »


De Munich, M. d’Escars alla vers Ratisbonne; cette ville impériale, enclavée dans les états de l’électeur de Bavière, était le siège de la diète germanique la représentation diplomatique, particulièrement celle des états allemands, y figurait au complet. M. d’Escars fut bien étonné d’y trouver presque tous les ministres de l’empire faisant partie des illuminés; Ratisbonne était le foyer de la secte malgré la persécution dirigée contre elle par l’électeur de Bavière lui-même. A quelque distance de Ratisbonne enfin, l’émigré français visita la plus aimable, à son gré, de ces petites cours d’Allemagne, celle du prince-évêque de Passau. Par son curieux récit, on jugera de la douce vie que procuraient ces souverainetés demi-féodales tout près de notre frontière en l’an de grâce 1789, et du peu de goût qu’y devaient inspirer les terribles nouveautés de la France révolutionnaire. M. d’Escars nous rend par le menu toutes ses impressions. La féconde période au terme de laquelle il rédige ses mémoires, — de 1789 à 1812, — lui a laissé bien peu de plus vifs souvenirs.


« Ce n’étaient que riches repas et fêtes brillantes, dit-il, chez le prince-évêque de Passau, cardinal d’Auersberg. La première fois que je me rendis à sa résidence d’été, je demandai le maréchal de la cour pour me présenter à son altesse éminentissime; mais, sans me faire attendre, on ouvrit la porte d’un très beau salon, et je vis le cardinal entouré de femmes et de chanoines. Après un excellent accueil, on passa dans la salle à manger, et je fus placé entre le prince-évêque et la comtesse sa nièce. La chère était allemande, il est vrai, mais somptueuse et très bonne, les vins du Rhin et de Hongrie en abondance et parfaits, la comtesse prévenante et aimable. La conversation du cardinal fut celle d’un bon et digne homme il me demanda des nouvelles de tous les ambassadeurs français qu’il avait connus à Vienne. Le repas achevé, « il fait trop mauvais temps, me dit-il, pour vous proposer une promenade dans mes jardins anglais; je vais vous ramener en ville, où nous avons un opéra qui vous amusera peut-être. » En effet, je monte en voiture avec le cardinal, la comtesse et le grand-doyen du chapitre. Nous arrivons dans la plus jolie loge et la mieux décorée; je vois une salle de spectacle charmante, du meilleur goût, quoique petite, et remplie de jolies femmes parfaitement mises. Un coup d’archet imposant annonce l’arrivée du maître; on bat des mains, on applaudit le souverain, qui répond par les salutations les plus affables. Une toile parfaitement peinte se lève, et on représente le célèbre opéra de Don Juan de