Page:Revue des Deux Mondes - 1865 - tome 60.djvu/126

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

les chefs inconsidérés, vaniteux, exaltés, de l’émigration. Impatiens d’agir, ces derniers ne furent d’abord retenus que par leur propre impuissance et par l’attitude des grandes cours, qui, ne conservant pas beaucoup d’illusions, attendaient les agressions révolutionnaires pour les combattre ouvertement, mais ne refusaient pas cependant de prêter l’oreille à ce que proposeraient les Tuileries. Le cabinet de Vienne en particulier, sous les deux règnes de Joseph II et de Léopold, frères de Marie-Antoinette, se prêtait aux instances de la reine contre les princes. Léopold s’efforça d’arrêter la fougue du comte d’Artois, refusa de le recevoir, et ne put empêcher cependant qu’en janvier 1791 l’étourdi de Calonne, venu secrètement à Vienne, ne laissât deviner à demi son incognito dans un bal masqué, au risque de faire croire en ville et de voir imprimer dans les gazettes que le comte d’Artois en personne venait s’entendre avec l’empereur, — cela au moment où la situation de Louis XVI et de Marie-Antoinette dans Paris devenait assez critique pour que le bruit d’une connivence avec l’étranger leur pût devenir fatal. M. d’Escars, en racontant cet épisode avec de curieux détails dans ses mémoires, montre bien que de Calonne, son oncle, a été comme lui-même un type de cette brillante et dangereuse émigration.

L’échec de Varennes, qui brisait les espérances du parti du roi, ouvrit libre carrière aux présomptions du parti des princes. Précisément la révolte des Brabançons contre l’Autriche venait d’être domptée le parti de Van der Noot, dédaigné par La Fayette et l’assemblée constituante, abandonné à ses propres forces, avait été facilement abattu; une patrouille de hussards s’était emparée de Bruxelles, et en quelques jours on avait tout fini. Comme s’il y avait eu quelque rapport entre cette faible révolte, toute favorable à la cause des privilèges ecclésiastiques ou féodaux, et la révolution française, les émigrés assimilaient le facile triomphe de l’Autriche à celui que bientôt ils remporteraient eux-mêmes. De Paris, les chefs du côté droit de l’assemblée, partageant cette confiance, engagèrent tout ce qui restait de nobles en France à partir pour Coblentz et Worms au nom de l’honneur et du roi. Les femmes s’en mêlaient et envoyaient des quenouilles à ceux qui voulaient rester. Il ne s’agissait, disait-on, que d’une promenade sur les bords du Rhin; dans cinq ou six semaines, on serait de retour avec la victoire. Il ne fallait que montrer son panache un mouchoir blanc, la botte du prince de Condé, et six francs de corde pour pendre les chefs de la révolution, que faudrait-il de plus? Une feuille périodique fondée à Coblentz sous le titre de Journal de la contre-révolution avertissait amis et ennemis deux millions d’hommes, à l’en croire, s’avan-