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qu’elle choisirait, quand elle aurait toutes ses forces sous la main pour imposer sa volonté, de dicter ses conditions au roi de Suède.

Dès le 9 juillet 1790, un mémoire était adressé par Gustave III à l’impératrice, pour lui soumettre un plan d’invasion. Les troupes de l’empereur, fortes de trente à trente-cinq mille hommes, entreraient par la Flandre, douze à quinze mille Suisses pénétreraient par la Franche-Comté, quinze mille Sardes par le Dauphiné, vingt mille Espagnols enfin par les Pyrénées. Les princes de l’empire attaqueraient l’Alsace. Le roi d’Angleterre, pensait-on, resterait neutre, et se dédommagerait sur les Antilles françaises de l’inaction qu’il voudrait bien garder. L’empereur négocierait avec le roi de Prusse pour que celui-ci donnât ses troupes de Westphalie. Entrés en France, les princes assembleraient un champ-de-mai, et Monsieur, après avoir déclaré sa régence devant les pairs, les grands officiers de la couronne, les évêques, etc., promettrait de conserver les anciennes lois du royaume, les droits et privilèges des divers ordres, et le rétablissement des parlemens. A une si grande entreprise il fallait un chef suprême. Le roi de Suède était fier d’un premier suffrage que lui avait accordé à ce sujet l’impératrice. Il fallait que ce chef eût à sa disposition une force suffisante, ne dépendant que de lui, afin que son autorité fût sûrement assise. Déjà Gustave III avait engagé à son service d’habiles généraux, comme le marquis de Bouillé; il offrait en outre seize mille Suédois et demandait six mille Russes, avec d’importans subsides que la France rembourserait après la restauration. Ce corps, embarqué sur des vaisseaux fournis par les deux couronnes de Russie et de Suède, attendrait à Ostende le moment de débarquer, pendant l’automne de 1791, sur les côtes de Normandie. Deux officiers suédois examinaient secrètement tout le bassin de la Seine, du Havre à Paris. Des mémoires rédigés par la noblesse normande elle-même apportaient les informations les plus rassurantes et les plus détaillées. Tout était donc préparé avec soin; le général en chef était prêt on n’attendait plus qu’un envoi de roubles et de soldats russes avec un raisonnable appoint de Cosaques, c’était une recommandation expresse de Gustave III, — pour terrifier les populations françaises. On voit que les plans politiques et militaires ne coûtaient pas à la féconde imagination du roi de Suède; il taillait en plein drap. Nul cependant ne savait mieux que lui la vanité des chiffres et l’incertitude des engagemens qu’il proposait à l’impératrice; mais il espérait l’entraîner par l’apparence de ce concert, se faire donner par elle des secours d’hommes et d’argent effectifs avec le commandement en chef, auquel il tenait par-dessus tout, et qu’il garderait ensuite, quels que fussent les membres et les forces de la coalition