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pour faire nombre, et non sans une constante défiance de ses liaisons compromettantes. Désormais d’ailleurs les événemens se précipitent. La révolution, qui ne se contient plus au dedans, déborde et arme aux frontières; la coalition va enfin se former après avoir achevé, par le traité de Berlin (7 février), l’œuvre incomplète et maladroite de Pillnitz. Gustave III, témoin intéressé de ces agitations, a repris quelque espoir depuis que la paix d’Yassy (9 janvier), confirmant les préliminaires du 11 août 1791, a entièrement terminé la guerre qui retenait Catherine II occupée contre les Turcs. Pour mieux instruire le roi de Suède de la terrible situation dont l’issue va décider du sort de la France et de l’Europe, Fersen lui adresse encore de Bruxelles, où il suit les événemens avec anxiété, une dépêche émue[1].


« Le triomphe des jacobins est complet; les bonnets rouges sont partout... Jamais le roi et la reine n’ont été dans un plus grand danger. Ils ont pris toutes les mesures possibles; ils ont brûlé et détruit tous leurs papiers ceux qu’ils ont voulu absolument préserver sont en sûreté; ils m’out fait prévenir de ne plus leur écrire, et qu’ils n’oseraient plus avoir aucune correspondance. Voilà, sire, quelle est la position déchirante de la famille de Bourbon. Elle n’a d’appui que les puissances étrangères; toute son espérance se fonde sur leur générosité, et leurs majestés réclament plus vivement que jamais leurs secours. »


La guerre européenne allait répondre enfin à ce dernier appel mais ce n’est pas du roi de Suède qu’il fut entendu. La dépêche de Fersen, datée du 24 mars, ne devait pas même arriver à Gustave III. Après avoir eu le dépit de voir destiné au duc de Brunswick ce commandement général qu’il avait tant ambitionné, Gustave était tombé le 16 mars et avait expiré le 29 sous le coup d’un assassin. Lui qui avait rêvé la double gloire d’étouffer l’esprit d’opposition dans ses états et de vaincre la révolution au dehors, il expiait ses illusions et ses fautes en ouvrant la liste des victimes de ces funèbres années. Le sanglant épisode de sa mort n’était pas sans correspondre, par des relations secrètes qu’il reste à exposer, avec l’anarchie morale de ces temps et avec la tourmente révolutionnaire.


A. GEFFROY.

  1. L’original, en chiffres, est au ministère des affaires étrangères, à Stockholm.