Page:Revue des Deux Mondes - 1865 - tome 60.djvu/167

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

pour l’organisme animal cette vue d’unité qu’il a montrée réalisée dans le monde végétal, s’efforce de ramener tous les animaux à un seul type et tous les os du squelette à un os unique (la vertèbre), comme il a ramené tous les organes des plantes au cotylédon. Dans ce travail, comme dans ceux qui le suivirent à différens intervalles, tous consacrés à la zoologie, se trouvent répandus, à travers bien des témérités et des opinions paradoxales, une multitude de principes simples et larges qui depuis ce temps ont passé dans la science. Il ne faut pas oublier,- parmi les travaux scientifiques du grand poète, le mémoire sur l’Expérience considérée comme médiatrice entre le sujet et l’objet (1793).

Il fallait bien que la part du poète se marquât même dans le savant, et que l’imagination, cette faculté maîtresse de la poésie, troublât, au moins une fois, dans cet ordre d’études, l’équilibre de cette belle intelligence. Il y eut toujours, on l’a vu, dans ce cerveau si merveilleusement organisé, un coin pour le chimérique. C’est là qu’avait régné, dans sa première jeunesse, la chimie mystique de Mlle de Klettenberg; c’est là qu’avait dominé pendant quelque temps Paracelse, là enfin que l’illuminisme humanitaire de Lavater avait pénétré un jour. Plus tard, par l’effet d’une combinaison singulière entre l’esprit scientifique et l’esprit de chimère, c’est là que prirent naissance les illusions systématiques, les expériences ingénieusement fausses, les raisonnemens pleins d’une ruse innocente sur lesquels se fondait dans l’esprit du poète la trop célèbre théorie des couleurs. On le surprend encore une fois abandonnant la voie des belles découvertes pour se jeter dans de véritables aventures d’idées avec cette intrépidité qui ne sert qu’à mener plus loin dans le faux un vigoureux esprit. Il n’entreprend rien moins que de faire la guerre à Newton, de renverser sa théorie sur la composition du rayon lumineux et de renouveler l’optique[1]. Tandis que toute la physique moderne est d’accord pour admettre, d’après l’expérience positive du prisme, que la couleur provient de la lumière, et que les objets diversement colorés ne font que réaliser les conditions diverses à l’aide desquelles le rayon lumineux est décomposé en ses couleurs primitives, Goethe imagine et pose en principe que l’obscur a une réalité aussi bien que le clair, que la clarté et l’obscurité sont dans une perpétuelle opposition. Tout son système s’ensuit. L’obscur ayant une valeur objective comme le clair et se trouvant en antagonisme perpétuel avec lui, les couleurs s’expliquent par un mélange de l’obscur et du clair à différens de

  1. Voir dans M. Faivre l’analyse détaillée et l’historique de cette théorie des couleurs, chapitres IV, V, VI, VII, dans la deuxième partie des Œuvres scientifiques de Goethe.