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prit français, tantôt les phases si animées de ce grand duel scientifique que se livraient Cuvier et Geoffroy Saint-Hilaire sur les principes de la nature, et qui partageaient l’Europe et la science heures mémorables où la Sorbonne et l’Institut tenaient ainsi le monde savant sous le charme de leurs talens et sous l’empire de leurs idées

Quelle belle scène que celle où nous saisissons, lors de ce grand débat, sous la prose d’ordinaire un peu endormie d’Eckermann et cette fois éveillée, les ardeurs toujours jeunes du génie! Les nouvelles de la révolution de juillet arrivaient à Weimar le lundi 2 août 1830. Toute la ville était en mouvement. Eckermann alla chez Goethe dans le cours de l’après-midi. « Eh bien lui cria Goethe en le voyant, que pensez-vous de ce grand événement? Le volcan a fait explosion tout est en flammes, ce n’est plus un débat à huis-clos C’est une terrible aventure, répondit Eckermann; mais. dans des circonstances pareilles, avec un pareil ministère, pouvait-on attendre une autre fin que le renvoi de la famille royale ? — Nous ne nous entendons pas, mon bon ami, dit Goethe. Je ne vous parle pas de ces gens-là. Il s’agit pour moi de bien autre chose! Je vous parle de la discussion, si importante pour la science, qui a éclaté publiquement entre Cuvier et Geoffroy Saint-Hilaire. » Et comme Eckermann restait muet et interdit « Le fait est de la plus extrême importance, continua Goethe, et vous ne pouvez vous faire une idée de ce que j’ai éprouvé à la nouvelle de la séance du 19 juillet. Et voyez combien est grand en France l’intérêt de cette affaire, puisque, malgré les terribles agitations de la politique, la salle était pleine à cette séance. La méthode synthétique ne reculera plus maintenant, voilà ce qui vaut mieux que tout. La question est devenue publique, on ne l’étouffera plus. Voilà cinquante ans que je travaille à cette grande question; j’ai commencé seul; j’ai rencontré plus tard quelques secours, et enfin à ma grande joie j’ai été dépassé par des esprits de ma famille. Quand j’ai envoyé à Pierre Camper un premier aperçu sur l’os intermaxillaire, à ma grande tristesse, je suis resté complétement incompris; je ne réussis pas mieux avec Blumenbach cependant, après des relations personnelles, il se rangea à mon avis. J’ai ensuite gagné des partisans dans Soemmering, Oken, Dalton, Carus et d’autres hommes également remarquables; mais voilà que Geoffroy Saint-Hilaire passe de notre côté, et avec lui tous ses grands disciples, tous ses partisans français Cet événement est pour moi d’une importance incroyable, et c’est avec raison que je me réjouis d’avoir assez vécu pour voir le triomphe général d’une théorie à laquelle j’ai consacré ma vie, et qui est spécialement la mienne. » Geoffroy Saint-Hilaire