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Page:Revue des Deux Mondes - 1865 - tome 60.djvu/173

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leurs rapports avec sa philosophie. Un esprit généralisateur comme celui-là n’a pu se restreindre à quelques découvertes ni à quelques aperçus de détail. Il a certainement cédé à l’attrait souverain des grandes vues; il a dû concevoir à sa façon la nature après en avoir observé les phénomènes avec toute l’attention dont il était capable. Comment cette conception de la nature s’est-elle progressivement formée dans son esprit? Par quels degrés de généralisations successives sa pensée s’est-elle élevée jusqu’à ces hauts sommets d’où elle domine encore une. partie de son temps et de son pays? Telle est la question que nous avions constamment devant les yeux lorsque nous parcourions avec curiosité ces riches domaines, moins spécialement réservés que l’on ne pourrait le croire, accessibles même aux profanes, la Morphologie et les Fragmens d’histoire naturelle. Dans le savant nous cherchions le philosophe. L’avons-nous trouvé? tenons-nous enfin les véritables sources de la philosophie de Goethe?

Si l’on a suivi, dans le tableau que nous venons de tracer, les travaux scientifiques de Goethe, on a pu voir que ses découvertes positives ne sont pas très nombreuses la métamorphose des plantes, l’os intermaxillaire dans le squelette humain, l’analogie du crâne et de la vertèbre. Encore la priorité de cette dernière théorie, les vertèbres crâniennes, lui a-t-elle été vivement disputée, soit par Oken, qui en a donné en 1807 le développement scientifique, soit par d’autres adversaires qui ont signalé pour la première fois cette vue dans les leçons du professeur Peter Franck dès 1792, tandis que l’Histoire de mes travaux anatomiques, où Goethe a publié ses idées sur ce sujet, n’a paru qu’en 1820. Néanmoins l’auteur déclare expressément « que depuis trente années il était convaincu de cette affinité secrète du crâne et de la vertèbre, » et la preuve en est dans ses lettres et ses cahiers de morphologie. Quoi qu’il en soit de cette contestation et de bien d’autres qui n’ont épargné ni sa découverte de l’os intermaxillaire, ni même sa théorie de la métamorphose des plantes, dont la Philosophie botanique de Linné contient le germe, ce n’est pas dans les résultats positifs des travaux de Goethe qu’il faut chercher la mesure de sa valeur scientifique. Elle est ailleurs, dans les aperçus philosophiques sur la science de la nature répandus à travers tous ses écrits d’une main presque prodigue. C’est là qu’on peut prendre une juste idée de cet esprit si compréhensif et si pénétrant.

De l’aveu de tous les grands naturalistes du XIXe siècle, de Cuvier lui-même comme de Geoffroy Saint-Hilaire et de Humboldt, Goethe a marqué avec décision les voies nouvelles où cette science allait s’avancer à grands pas. Il a défini en traits parfois admirables la méthode synthétique; il a exposé sous mille formes variées