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affirme « n’être pas contraires à la loi, » voilà certes qui montre assez nettement avec quelle puissance de pensée le maître a dominé l’ensemble des manifestations naturelles dont la multitude désordonnée aurait dispersé ou accablé tout autre esprit[1]. Nous insistons sur ce grand nom d’Aristote, parce qu’il a été particulièrement maltraité par l’école de la synthèse, et qu’il semble que cette école triomphe aisément d’un adversaire placé par le hasard de sa naissance aux origines mêmes de la science; mais les anticipations vraiment merveilleuses de ce beau génie doivent le protéger contre des critiques qui l’ont trop peu connu, et qui, en attaquant le philosophe de Stagyre, avaient en vue des rivaux autrement redoutables, plus jeunes et vivans.

Si nous descendons le cours des siècles, que de noms d’observateurs et de naturalistes excellens n’aurions-nous pas à défendre contre l’arrêt trop sommaire de proscription lancé par Goethe du haut de la science moderne? Partout il laisse percer cette conviction, qu’avec Geoffroy Saint-Hilaire il a inauguré une ère nouvelle dans l’histoire des sciences de la nature; mais, pour ne citer que Linné, dont Goethe parle avec vénération, tout en lui accordant peu de chose en dehors de la perception fine des détails et du sens des classifications, n’est-ce pas lui qui a fourni les germes de presque toutes les idées générales écloses plus tard dans la physiologie végétale? N’est-ce pas dans sa Philosophie botanique qu’a été prise l’idée-mère de la métamorphose des plantes? N’est-ce pas enfin cet esprit si pénétrant et si juste qui a exprimé avec précision la loi de continuité dans l’organisme végétal (natura non facit saltus) et le principe de la constance dans la position relative des organes, dans la disposition générale des parties de la fleur (situs partium constantissimus), principe qui, transporté dans l’anatomie comparée, deviendra la loi de la connexion des organes? N’y a-t-il pas là une application vraiment remarquable de la méthode synthétique que Linné pratiquait sans la connaître, par le seul instinct d’un esprit supérieur que sa supériorité met de niveau, en tout ordre de science, avec les lois générales? Enfin avons-nous à défendre Cuvier contre les critiques qui ne l’ont pas épargné? A qui persuadera-t-on qu’il n’avait pas le sens véritablement synthétique, le sens intuitif et divinateur, le sens par excellence des grandes découvertes en histoire naturelle, celui qui, en s’emparant avec tant de puissance du principe de la subordination et de la dépendance des parties, à l’aide de ce principe, a reconstruit avec les plus

  1. Consulter sur ce sujet une excellente étude, présentée sous la forme modeste d’une thèse à la Faculté des Lettres de Paris : Aristotelis philosophia zoologica, par M. Philibert. 1865.