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La forme soumise à une perpétuelle métamorphose dans l’individu comme dans l’espèce, le type purement idéal réalisant l’unité dans la variabilité indéfinie des formes, chaque espèce, chaque genre, chaque règne, dérivant, par des transformations successives, d’une substance unique parfaitement homogène et simple, voilà le spectacle que la nature offre à nos yeux. Ainsi tout se transforme et se dissout. Dans ce travail perpétuel de composition et de décomposition où se joue de toute éternité l’activité créatrice des forces vitales, aucun point d’appui pour notre entendement. Les individus et les genres n’ont qu’une fixité apparente, relative, momentanée, rien qui arrête cette universelle fluidité, cette mobilité vertigineuse des formes. — Les espèces ne sont plus des moules fixes dans lesquels se modèle la matière vivante. Le moule est brisé, et la substance, animée d’une vie mobile, revêtue d’une forme singulièrement fluide elle-même, coule indifféremment, à travers la nature, de la plante à l’homme et de l’homme à la plante, selon les circonstances propices ou les pentes du sol. — On voit se produire ici, en toute liberté, cette inspiration philosophique de l’unité absolue qui est le mauvais génie de Goethe naturaliste et qui déconcerte à chaque instant son talent d’observateur. Dans de pareilles conceptions, il n’y a plus rien de scientifique. La théorie de M. Darwin, moins absolue d’ailleurs, moins radicale, s’est entourée de nombreuses expériences, d’observations admirables, d’analogies infiniment ingénieuses. Malgré tout, elle n’a pas traversé la région des hypothèses, elle n’est pas encore parvenue au plein jour de la science, et tout porte à croire qu’elle n’y arrivera pas. C’est encore une nébuleuse envoie de formation. Que dire de ces applications sans mesure de la loi de la métamorphose à laquelle Goethe prétend tout réduire, la vie de l’individu, le type, les espèces, les règnes? Cela mène à l’amorphe, comme dit Goethe lui-même. Cela dissout et détruit tout, science et réalité. En tout cas, ce n’est pas une théorie scientifique, c’est du spinozisme poétique.

Laissons là ces conséquences extrêmes de l’esprit synthétique porté au-delà du terme où l’observation l’abandonne, et qu’il ne serait peut-être pas juste de transformer en vues scientifiques, car peut-être ne sont-elles, dans la pensée de Goethe, que des tentatives hasardeuses, « une de ces navigations vers les îles imaginaires, » dans lesquelles il nous dit lui-même qu’il aime à s’aventurer. Revenons à la science proprement dite ou du moins à une question limitrophe, celle des causes finales. Comme tous les partisans de l’unité de composition organique, avec autant de vivacité que Geoffroy Saint-Hilaire et par les mêmes raisons, Goethe repousse de la science la considération des causes finales, et ses écrits d’his-