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qui d’abord s’en était moquée, finit par s’y rendre, attirée par l’intérêt et la nouveauté du spectacle. Enfin les journaux publient aujourd’hui leurs résolutions, qui sont, avec une certaine pompe africaine, un morceau d’éloquence autrement sérieux que le manifeste de Chicago. Il y a dans ces quelques lignes un sentiment profond de dignité blessée, de droit méconnu et de sincère patriotisme. Quelle pauvre figure font devant cette simple protestation de l’opprimé les sophismes froids et hypocrites des philosophes de l’esclavage

Portland, 11 octobre.

Éveillé hier par des fanfares et des coups de canon, je trouve, au moment de prendre le chemin de fer de Portland, la ville de Boston pavoisée de drapeaux. Que se passe-t-il? A-t-on pris Richmond, ou remporté quelque victoire problématique fêtée comme un triomphe? Quelques détachemens de soldats traversent les rues au milieu d’une foule affairée qui ne semble pas les voir. C’est pourtant en leur honneur que le canon tonne. Tout le long du chemin de fer, je vois les stations encombrées de monde ce sont les parens, les amis, les fiancées qui attendent les soldats en congé: ce sont aussi les familles en deuil de ceux qui sont tombés qui viennent fêter tristement le retour des vivans. Et l’on ose dire qu’il n’y a que des mercenaires étrangers dans l’armée des États-Unis!

On est émerveillé lorsqu’on songe à ce que devait être avant la guerre la prospérité de ce pays. Dans ces provinces de la Nouvelle-Angleterre, pourtant si peu favorisées de la nature, vous ne voyez encore aucune trace de misère et d’abandon. Je me trompe vous rencontrez quelquefois de vastes manufactures délaissées comme en France et en Angleterre, faute de coton. Il y a vers les confins du Massachusetts et du Maine un village appelé Lawrence, créé il y a peu d’années par l’établissement de plusieurs grandes filatures. Le voyageur est confondu lorsqu’il découvre au loin les murailles colossales, les tours, les cheminées, les dômes de ces, prodigieux édifices, à présent déserts et silencieux. A côté de la cité manufacturière abandonnée s’élève le village agricole de Lawrence, cottages blancs, jardinets fleuris, fermes coquettes éparses dans les vergers. Le peuple grave et décent qui se presse sur notre passage ressemble aux '‘bourgeois'‘ de nos campagnes. Je fais un triste retour sur nos humbles chaumières et sur leurs rudes habitans. Il faut avouer que l’Amérique est un kaléidoscope mouvant; son territoire immense présente à la fois tous les degrés et tous les étages de la civilisation. La Nouvelle-Angleterre, après deux siècles d’existence, n’est pas loin de surpasser l’Europe qui sait si la société nomade et brutale