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sans qu’une trace de misère réelle en explique le triste aspect. Des fenêtres du vaste hôtel construit là pour les touristes, le soleil levant me montre, non pas le mont Washington lui-même, mais la cime neigeuse d’un des grands dignitaires qui entourent le trône du dieu de cet olympe les monts Webster, Jefferson, Adams, Madison, Jackson et tant d’autres que l’imagination populaire a groupés autour du sommet dominateur où plane le grand nom de Washington. Les nuages l’ont bientôt envahi, et les radieuses promesses de l’aurore menacent de se résoudre en neige. Je pars néanmoins pour la montagne, dans une voiture légère conduite par un gentleman à qui l’aubergiste m’a confié. « Monsieur, dit-il, sait la route, et vous servira de guide. » Mon compagnon tire un cigare de sa poche, me demande si je fume, si la fumée du tabac m’incommode. Je ne savais en vérité à qui j’avais affaire, et la question ne fut résolue que le soir, quand je vis le même gentleman porter ma malle au chemin de fer et me remercier pour un dollar que je lui mis dans la main.

Nous entrons dans une vallée sauvage animée par un beau torrent aux eaux pures et fermée au fond par la grosse masse encapuchonnée du mont Washington, toujours plus sombre à mesure que les nuées s’abaissent. On me montre au-dessus de la région des forêts une ligne noire dans la neige c’est la route récemment ouverte jusqu’au sommet. Un vent froid siffle à travers la forêt dépouillée, son manteau doré s’effeuille à chaque rafale. Glen-House, une auberge solitaire abandonnée l’hiver au milieu des neiges, s’élève dans une prairie où courent des chevaux en liberté. Un ours enchaîné à un piquet devant la porte promène en rond sa tête branlante et son épais manchon de fourrure brune l’ours est le chamois des Montagnes-Blanches.

Une longue montée dans des bois de sapins, puis le givre saupoudrant les arbres, puis la neige formant sur les broussailles des draperies et des dentelles, enfin la glace pendant en stalactites à la place des ruisseaux saisis! En même temps une épaisse nuée neigeuse s’abat sur la montagne. Impossible d’embrasser le grand panorama des lacs; je n’entrevois plus qu’à peine les forêts aux mille couleurs étendues dans la vallée comme un tapis brillant et bariolé. Je n’en demandai pas davantage: Les Montagnes-Blanches ne sont après tout ni bien imposantes, ni bien variées; elles ne sont que coquettes et gracieuses, parsemées de petits lacs, arrosées de mille ruisseaux bouillonnans et couvertes d’une végétation à la fois montagneuse et douce qui doit être charmante au printemps. En cette saison, elles prennent un air inhospitalier, une mine sombre et sévère qu’égaient seulement les lumineux feuillages des forêts. Rien de plus étrange que ces lueurs fantastiques qui courent