Aller au contenu

Page:Revue des Deux Mondes - 1865 - tome 60.djvu/220

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Les terres n’ont pas de valeur, parce qu’elles manquent de débouchés. Les routes sont rares, mauvaises, obstruées pour la plupart de péages onéreux. Aussi, tandis que les produits du sol surabondent dans les campagnes et qu’il règne dans certains districts écartés un bon marché désastreux, l’Angleterre semble avoir communiqué aux grandes villes quelque chose de sa cherté. Québec même est loin d’avoir aujourd’hui toute son ancienne importance commerciale. Les canaux de l’état de New-York lui enlèvent tout le commerce des grands lacs; les chemins de fer des états de l’est détournent son propre négoce vers les voies toujours ouvertes des ports américains. Plus les moyens de communications deviendront nombreux, rapides et économiques, plus le courant qui écoule les produits du Canada abandonnera les régions septentrionales, qui en étaient jadis la seule issue. On multipliera les canaux, les chemins de fer vers New-York, Boston et Portland; mais on ne fera pas fondre les glaces qui obstruent pendant cinq mois l’embouchure du Saint-Laurent. Le Canada n’aura même plus sa saison d’activité intermittente et temporaire pour racheter son temps annuel d’engourdissement forcé. Chaque année, la navigation du Saint-Laurent diminue les deux canaux creusés à grands frais pour ouvrir aux lacs l’accès de la mer, le canal Welland, qui tourne les cataractes du Niagara, et celui qui sert à éviter les rapides entre Montréal et Prescott, ne sont plus assez larges et ne rapportent rien. Sur le canal Welland, le transit a diminué de 12 1/3 pour 100 dans les six premiers mois de l’année. Sur les canaux du Saint-Laurent, la décroissance est encore plus inquiétante; elle est de 33 pour 100 sur l’année dernière. Remarquez que la diminution est d’autant plus grande qu’on se rapproche de la mer et qu’on dépasse une à une les voies ouvertes récemment par l’industrie américaine. Sur les canaux de l’état de New-York, il passe aujourd’hui des barques de 210 tonnes, ce qui réduit les frais de transport au point de tuer la marine canadienne et de rapporter chaque année un profit net de 5 millions de dollars. Ainsi le commerce du Saint-Laurent, au lieu d’arriver à la mer grossi du tribut des lacs et d’enrichir les provinces riveraines de son embouchure, semble au contraire rebrousser le courant du fleuve et reléguer au dernier rang les territoires du nord-est.

Je vois donc, en dépit de la confiance que tout le monde ici m’a montrée, le Canada condamné, dans son isolement, à un avenir insignifiant et stationnaire. L’annexion au contraire aurait pour lui mille avantages elle lui vaudrait un commerce libre, des marchés assurés, des routes, des chemins de fer, des canaux, des transports faciles, l’établissement immédiat d’une foule d’industries attirées par le bon marché de la main-d’œuvre, enfin l’immigration au lieu