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Page:Revue des Deux Mondes - 1865 - tome 60.djvu/233

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plus de drapeaux des États-Unis que dans le meeting de Joliet? Il y avait vingt mille personnes présentes; la procession avait cinq milles de long. » Voilà, en vérité, une manifestation bien imposante! mais ces porteurs de bannières nationales n’en veulent pas moins abaisser leur pays devant une minorité rebelle et déchirer en lambeaux le « glorieux emblème des stars and stripes! »

Ils font cependant la cour à l’armée. Ceux mêmes qui voudraient la voir exterminée par les rebelles professent pour elle une sorte de culte hypocrite et intéressé, Ils publient tous les jours par douzaines des lettres de soldats supposés qui annoncent l’unanimité de leurs corps pour Mac-Clellan et se plaignent de la pression qu’on exerce sur leurs votes. L’armée d’ailleurs est l’oracle infaillible qu’invoquent tous les partis. Ils trouvent commode de mettre dans la bouche d’un soldat leurs calomnies et leurs injures. Veut-on donner au président Lincoln un satisfecit populaire, on suscite un soldat écrivain qui, dans son éloquence militaire, envoie poliment Mac-Clellan to hell. Veut-on dénoncer au peuple de l’Illinois l’ivrognerie et l’incapacité de son futur gouverneur O***, vite le Chicago Times forge un vétéran qui a servi sous ses ordres et adjure ses concitoyens de ne pas nommer ce « damné lâche! » Veut-on reprocher au président Lincoln son refus d’échanger les prisonniers, mesure terrible dont son cœur a dû saigner plus que tout autre, mais rendue nécessaire par la barbarie des confédérés[1], voici la lettre d’un de ces prisonniers « qui a perdu un poumon et un œil, » et fulmine contre le tyran dans un style ampoulé et théâtral qui n’est pas assurément sorti du fond d’un cachot. Tel est en ce moment le prestige du sabre tout le monde le flatte et l’adore, et il n’y a pas de vérité qui obtienne autant de ’crédit qu’un mensonge revêtu de l’uniforme des boys in blue.

Vallandigham et ses amis suivent le courant. Ils se sont un peu relâchés de leur vertu farouche et se contentent d’un copperheadisme mitigé à l’usage des gens timides. Pendleton, leur créature et leur âme damnée, a enfin rompu son obstiné silence. Ils

  1. On a osé dire que le président Lincoln était seul coupable des tortures infligées à ses soldats dans les prisons du sud, puisqu’il avait refusé l’échange des prisonniers. On s’est même indigné bruyamment de la cruauté savante d’un gouvernement qui abusait de l’avantage du nombre, et laissait périr des milliers de vies humaines pour épuiser plus vite les armées du sud. C’est une audacieuse et indigne calomnie. Tout le monde sait l’auteur véritable de cette nécessité cruelle ce sont les confédérés qui, les premiers, se sont mis à massacrer systématiquement tous les prisonniers qu’ils faisaient aux troupes de couleur engagées dans l’armée fédérale. Le président Davis (dont je voudrais pouvoir respecter l’infortune) a déclaré que les prisonniers noirs seraient passés par les armes, et leurs officiers mêmes traduits en conseil de guerre pour être punis suivant les lois des états du sud. C’est alors que le président Lincoln a dû rompre à son tour la convention d’échange, jusqu’au jour où les prisonniers de couleur seraient traités comme les prisonniers blancs.