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gleterre entière eût excité un rire universel d’incrédulité. Lord Palmerston pouvait être l’auxiliaire utile et à demi effacé, l’ornement d’un parti, si l’on veut : il n’en pouvait être la force et le chef. Mais s’il n’était point ardent à la lutte, il ne s’y compromettait point ; s’il ne se mettait point d’un élan à la tête des combattans, il ne se faisait point d’ennemis même parmi ses adversaires. Les victoires auxquelles il s’associait d’un air dégagé, en amateur, ne laissaient point de ressentiment contre lui au cœur des vaincus. C’est ici qu’il faut dire, à la louange de cet homme heureux, que ses bonnes fortunes n’ont point été le résultat cherché d’une conduite calculée, qu’elles ont été l’effet naturel de son aimable caractère. Ceci aura beau paraître un paradoxe aux lecteurs du continent, c’est la vérité : lord Palmerston n’a jamais été un ambitieux. Il était de ceux qui sont contens du sort que chaque jour leur procure, qui aiment mieux jouir de ce qu’ils ont que d’envier et de poursuivre ce qu’ils n’ont pas ; il était aussi de ces esprits doués par le bonheur qui trouvent leur satisfaction à bien faire leur tâche, quelle qu’elle soit. Lord Palmerston restait donc avec agrément et honneur à la place où le mettait la fortune, et ne la dépassait ni par les aspirations impatientes de l’esprit ni par les inquiètes cupidités de l’ambition. Chose curieuse, il avait été quelques années, dans sa première jeunesse, à l’école de ce bon Dugald-Stewart, le philosophe écossais, dont nos professeurs de philosophie, au temps où la psychologie était en honneur, ont tant rebattu le nom à nos jeunes oreilles ; Dieu le pardonne aux ombres de Royer-Collard et de Jouffroy ! Palmerston n’apprit sans doute à cette honnête école que cette sorte de philosophie négative qui sied à l’homme du monde. Il n’en garda aucun vestige de ce pédantisme qui est resté aux esprits élevés du vieux parti whig. Investi tout jeune encore du titre de sa famille, il entra à la chambre des communes et fut introduit dans l’administration par un de ces postes politiques qui étaient à cette époque des espèces de dotations aristocratiques. 11 fut secrétaire de la guerre ; mais cette place n’était qu’un office bureaucratique, et ne lui donnait nul accès dans le cabinet, nulle autorité sur les opérations de l’armée anglaise, alors si occupée. Lord Palmerston resta vingt ans à ce poste obscur sans avoir l’air d’aspirer à autre chose ; il remplissait si bien les devoirs techniques de sa charge qu’il mérita la qualification de red-tapist, que les Anglais donnent un peu dédaigneusement aux fonctionnaires assidus et corrects qui ne paraissent point capables de dépasser la sphère de l’honnête médiocrité. Dans cet intervalle, le jeune lord bureaucrate n’avait guère laissé voir sa bonne humeur et son esprit que dans les commerces mondains et par ces articles de petit journal, ces espiègles satires politiques, ces squibs, comme disent les Anglais, innocentes facéties qu’on se permet en riant en Angleterre dans la guerre des partis. Dans ses années de jeunesse, il paraît que Palmerston s’amusait à ces satires en compagnie de Robert Peel, jeune alors lui aussi, et de Croker, que nous n’avons guère connu bien plus tard que par ses rabâchages politiques et littéraires de la Quarlerly Review. L’en-