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savait bien qu’elle « ne serait jamais capable de trahir ni son devoir ni sa religion. » Comprenant bien toute l’étendue des catastrophes imminentes « Bon Dieu! s’écriait-elle, dans quel temps nous avez-vous fait naître? Moi qui, il y a quelques années, me réjouissais de n’être pas née dans le siècle passé! Ah! si nous avons bien péché, Dieu nous punit bien! »

Et pourtant la princesse, qui avait un si juste pressentiment de l’avenir, conservait au milieu des crises les plus terribles deux qualités essentiellement françaises, la gaîté et le patriotisme. Comme l’oiseau captif qui dans sa cage chante encore, elle oubliait parfois l’amertume de sa destinée. Si les atteintes portées à la religion la plongeaient dans le chagrin, elle supportait tout le reste, non-seulement avec calme, mais avec une sorte d’entrain, de verve, de bonne humeur. L’assemblée venait de supprimer la noblesse héréditaire et les titres héraldiques. Mme Élisabeth écrivait à Mme de Bombelles « Pour moi, j’espère bien m’appeler Mlle Capet, ou Hugues, ou Robert, car je ne crois pas que je puisse prendre le véritable nom, celui de France. Cela m’amuse beaucoup, ajoute-t-elle, et si ces messieurs voulaient ne rendre que de ces décrets-là, je joindrais l’amour au profond respect dont je suis pénétrée pour eux. Tu trouveras mon style un peu léger vu la circonstance; mais comme il ne contient pas de contre-révolution, tu me le pardonneras. Il faut bien rire un peu. »

Mme Élisabeth garde avec la gaîté l’amour de la patrie. En 1791, le roi et la reine viennent de recevoir quelques marques de respect. « Ah! mon cœur, s’écrie-t-elle, le sang français est toujours le même. On lui a donné une dose d’opium bien forte, mais il n’est point glacé, et l’on aura beau faire, il ne changera jamais. Pour moi, je sens que depuis trois jours j’aime ma patrie mille fois davantage. » Quand les armées étrangères menacent le sol français, la princesse parle-t-elle le langage des émigrés? Non, elle a des accens patriotes; on reconnaît que le sang de Henri IV coule dans ses veines. Elle écrit à Mme de Bombelles le 5 août 1791 « La Russie, la Prusse, la Suède, l’Allemagne, doivent tomber sur nous; l’Espagne ne sait pas trop ce qu’elle fera, et 1’Angleterre reste nulle; mais tranquillise-toi, ma Bombe ton pays acquerra de la gloire, et puis voilà tout. Trois cent mille gardes nationaux, parfaitement organisés, et tous braves par nature. bordent les frontières, et ne laisseront pas approcher un seul houlan. Les mauvaises langues disent que du côté de Maubeuge huit houlans ont fait demander pardon à cinq cents gardes nationaux et à trois canons. Il faut les laisser dire, cela les amuse nous aurons notre tour pour nous moquer d’eux. »

N’avons-nous pas raison de constater que Mme Élisabeth est une nature essentiellement française? Elle le prouva par son courage. Le 20 juin 1792, lorsqu’une foule furieuse se précipite dans les Tuileries, elle s’attache à l’habit du roi et déclare qu’elle ne se séparera pas de son frère. Des assassins armés de piques la prennent pour Marie-Antoinette et veulent la percer de leur fer. « Arrêtez, s’écrie-t-on, c’est Mme Élisabeth. Pour-