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En Hollande, en Belgique, le problème, drapeau de guerre des partis, ne cesse point d’occuper l’attention publique. Enfin en Australie et au Canada, au Chili et au Brésil, dans les pays d’origine latine non moins que dans ceux d’origine anglo-saxonne, on s’est mis sérieusement à l’œuvre. Partout on cherche les moyens de répandre les lumières, de rendre l’instruction accessible à tous et même obligatoire pour tous; on vise à perfectionner les méthodes, on organise l’enseignement normal, on multiplie les bâtimens d’école, on élève la position de l’instituteur, et presque nulle part on ne recule devant les sacrifices d’argent que ces améliorations imposent.

C’est qu’en effet il faudrait être aveugle pour ne pas voir que l’avenir des nations dépend du degré d’instruction qu’elles atteindront. Pour le démontrer, on pourrait invoquer cent raisons; je n’en citerai que trois. On connaît l’admirable mot de Bacon knowledge is power, « science est puissance. » Rien n’est plus vrai, dans l’ordre économique principalement. Ce qui rend le travail productif, c’est la connaissance des lois naturelles. L’homme sauvage avec des sens très aiguisés et un corps endurci à tous les genres de fatigue, vit misérable et meurt souvent de dénûment; les forces de la nature l’accablent et le tuent, il les ignore. L’homme civilisé, après cinq mille ans d’études et de découvertes, en a pénétré le secret, il en fait ses serviteurs, et désormais, avec un travail abrégé, il règne sur la matière asservie dans l’abondance de tous les biens. Le rôle de la science appliquée à la production de la richesse grandit chaque jour. A l’avenir, le peuple le plus riche et par conséquent le plus puissant sera celui qui mettra le plus de savoir dans le travail. Indispensable pour accroître les richesses, l’instruction ne l’est pas moins pour apprendre à en faire bon usage. Presque partout le salaire de l’ouvrier est insuffisant pour satisfaire ses besoins rationnels, et pourtant quelle grande part n’en consacre-t-il pas à des dépenses inutiles ou même nuisibles Incapable de prévoir, l’esprit borné au présent, il n’apprécie pas la puissance émancipatrice de l’épargne. Avide d’excitations violentes et sensuelles, trop souvent il ne trouve de plaisir que dans l’ivresse, et s’il gagnait plus, ce ne serait que pour boire davantage. Veut-on qu’une augmentation de salaire soit pour le travailleur un moyen de s’affranchir, qu’on lui donne par l’instruction le goût des plaisirs de l’esprit et la capacité de prévoir. Pour qu’un peuple produise beaucoup et dispose sagement de ces produits multipliés, il faut qu’il soit éclairé. L’historien Macaulay remarque que, si au XVIIIe siècle l’Écossais, naguère pauvre et ignorant, l’emportait dans toutes les carrières sur l’Anglais, cette supériorité provenait de ce que le parlement d’Édimbourg avait donné à l’Écosse un enseignement national qui