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sités religieuses, déracine les préjugés et les antipathies, et inspire à chacun l’amour de la patrie commune et le respect des institutions libres. On s’étonne de voir ces masses d’étrangers que l’émigration apporte chaque année si tôt absorbées dans la nationalité américaine. C’est l’école qui, dès la première génération, leur imprime le cachet des mœurs nationales, leur communique les idées régnantes, et ainsi les rend capables d’exercer les droits de citoyen. Sans l’école, l’Union aurait cessé d’exister depuis longtemps, déchirée par les factions, engloutie sous les flots d’ignorance que lui envoient sans cesse l’Allemagne et surtout l’Irlande. Des calculs récens montrent que, si toute immigration avait cessé depuis l’an 1810, la population libre des États-Unis, au lieu de s’élever, en janvier 1864, à,29,902,000, n’aurait atteint que 10 millions 1/2 environ. Les immigrans et leurs descendans forment donc les deux tiers de la population. C’est par l’enseignement que le noyau primitif, si inférieur en nombre aux élémens étrangers, est parvenu à se les assimiler et à leur communiquer les qualités originales et fortes qui distinguent l’ancienne race anglo-saxonne et puritaine[1].

Combien de fois, durant la dernière guerre civile, n’a-t-on pas prédit que les états de l’ouest allaient se séparer de ceux des bords de l’Atlantique, et que la Californie formerait aussi une république indépendante sur les rivages du Pacifique! Et en effet les amis de la cause du nord n’ont pas été sans le craindre. Ces états éloignés auraient pu croire que c’était un moyen commode d’échapper à l’impôt du sang et au paiement de leur part dans la dette fédérale ils n’y ont jamais songé. Les maîtres d’école, venus en grand nombre de la Nouvelle-Angleterre ou animés de son esprit, avaient déjà fait germer dans le cœur de ces populations nouvelles le sentiment de l’unité nationale, et l’école a été le lien solide qui a retenti. ensemble toutes les parties du gigantesque édifice. L’Europe a eu lieu d’admirer l’énergie de cette jeune nation qui en quatre ans a su trouver pour la défense d’une juste cause deux millions de

  1. L’ignorance des immigrans d’Europe est une des grandes préoccupations des hommes prévoyans aux États-Unis. J’entendis un soir à l’hospice du Grand-Saint-Bernard une étrange conversation à ce sujet entre un des pères et un jeune Américain. Celui-ci se plaignait très naïvement de l’influence que les jésuites exerçaient sur les Irlandais. « Avez-vous lu le Juif errant d’Eugène Sue? demanda-t-il très naturellement au prêtre, qui répondit que non. Oh ! reprit le jeune citoyen de Boston, c’est que nous n’aimons pas les jésuites parce qu’ils n’aiment pas nos institutions, et aux élections ils font ce qu’ils veulent des Irlandais, qui sont très ignorans. Alors il faut les instruire, reprit le père. C’est bien ce que nous faisons, dit l’Américain; seulement il en arrive toujours de nouveaux, aussi ignorans que les premiers. » Il y a là en effet un danger, et pour y parer l’on parle de rétablir l’enseignement obligatoire, comme vient de le faire le Massachusetts.