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et, si l’on ne raffine pas trop, avec celui de Goethe. Le poète ne s’est donc pas trompé dans ses sympathies pour Diderot. Il a reconnu en lui un esprit de sa famille ; mais, selon lui, ces esprits sont rares en France, et Diderot peut être considéré comme une exception dans sa patrie. Toute la philosophie du XVIIIe siècle, selon Goethe, a été infestée par ce grossier matérialisme, et celle du XIXe a beaucoup de peine à s’en affranchir. Chose étrange, quarante ans plus tard, en 1829, le spiritualisme de M. Cousin lui-même ne semblait pas encore à Goethe assez purifié de la contagion de ces théories malsaines du dernier siècle que la jeune philosophie française avait mis sa gloire à renverser Il écrivait à son ami Zelter « Je dois accorder les plus grands éloges à ces Français pour toute la partie qui touche à la morale pratique, mais leur manière de contempler la nature ne me plaît pas autant[1]. » On croirait qu’il ne peut souffrir que la nouvelle philosophie prenne pour point de départ la distinction des êtres, la réalité de l’âme et celle de Dieu, mises à part de la réalité du monde. Point, le reproche est tout autrement imprévu. « Je respecte leur méthode, fondée sur l’expérience, mais je trouve que dans tout ce qui touche à la spéculation pure ils ne parviennent point à se débarrasser de certaines conceptions mécaniques et atomistiques. » M. Cousin soupçonné d’une parenté secrète d’idées avec le baron d’Holbach ! Le trait est plaisant.

Le dynamisme de Goethe se rattachait étroitement à son panthéisme. La force infinie circule dans le monde illimité. L’univers, c’est l’immensité vivante. Partout où s’étend l’espace, la vie y pénètre elle y réside, sinon en acte (car il y a des parties de matière où elle semble suspendue, comme dans le monde inorganique), du moins en puissance si elle n’y est pas actuellement, elle y a été hier, elle y sera demain. Or cette immense circulation de la vie, cet infini de la force qui remplit l’infini de l’espace et du temps, ce travail inépuisable de l’existence absolue, ces énergies éternellement créatrices, tout ce vaste système d’idées actives et de monades qui élaborent sans trêve la substance et lui imposent la forme, qu’est-ce donc que tout cela ? Le savant dans ses mémoires l’appelle la nature ; le philosophe, dans ses libres spéculations, l’appelle d’un nom cher au genre humain, Dieu.

Voilà le dieu que Goethe adore. Ce dieu n’a rien de transcendant il est la vie du monde ; il l’anime et le pénètre ; il y est si profondément mêlé, qu’on ne peut l’en distinguer que par ses manifestations, non par sa substance. Dieu ne crée pas en dehors de lui il n’organise pas la matière par un acte de causalité transi- :

  1. Conversations de Goethe, trad. citée, t. II, p. 169.