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Page:Revue des Deux Mondes - 1865 - tome 60.djvu/339

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théiste si on ne l’explique pas, si on ne le définit pas. D’ailleurs peut-on dire que, même expliqué et défini, ce nom donne une idée complète de sa philosophie ? Ce panthéisme naturaliste se combine avec un éclectisme d’une liberté presque illimitée. L’esprit de Goethe est peu exigeant envers lui-même sur les conditions logiques d’accord et de convenance entre les diverses vues qu’il recueille. Le trait essentiel qui s’y marque à côté de la tendance signalée vers l’unité absolue, c’est une vive et universelle curiosité. Goethe se juge bien quand il dit « Je ne puis, quant à moi, me contenter d’une seule façon de penser. » C’est là le vrai. Il semble que, pour accomplir en lui-même la loi d’évolution qui est pour lui la loi maîtresse de la nature, il se transforme dans les idées qui lui plaisent, et il devient difficile à certains momens de suivre sa pensée ondoyante dans le caprice infini de ses métamorphoses.

Il nous a donné la théorie de son éclectisme quand il a dit que rien n’est plus légitime pour chacun de nous que de choisir dans ce qui l’entoure, dans ce qui se passe autour de lui, dans ce qu’il lit, tout ce qui est en harmonie avec sa propre nature, pour se l’approprier, de s’assimiler ainsi tout ce qui, soit dans la théorie, soit dans la pratique, peut servir à son progrès et à son développement. « Combien d’hommes, par leurs penchans naturels, sont moitié stoïciens et moitié épicuriens ! Je ne serai donc pas étonné si ces hommes acceptent les principes des deux systèmes et cherchent, autant qu’il leur est possible, à les concilier dans leur esprit[1]. » Cet éclectisme, il le pratique sans scrupule, transportant dans sa pensée tout ce qui lui plait dans les divers systèmes que traverse sa mobile curiosité. Un jour il empruntera quelque belle pensée à Platon, pour qui il a une prédilection marquée, et dont il dit, avec un singulier bonheur d’expression, « qu’il ne cherche guère à connaître ce monde, qu’il s’en est fait d’avance une idée, que s’il pénètre au fond des choses, c’est bien plutôt pour les remplir de son âme que pour les analyser, que sa méthode, sa parole semblent fondre, réduire en vapeur les faits scientifiques qu’il a pu emprunter à la terre. » Un autre jour c’est Aristote qui paiera le tribut. Goethe prendra chez lui l’idée et le mot d’entéléchie, l’idée d’une réalité achevée, accomplie, d’un acte arrivé à sa perfection, et il appliquera ce mot aux âmes qui sont arrivées au plus haut degré de la perfection humaine par la culture esthétique ou scientifique, à celles qui se sont le mieux identifiées avec la nature. Il sera, par certains côtés de sa morale, stoïcien décidé. Des deux préceptes du Portique, sustine et abstine, il accepte énergiquement le premier, celui qui

  1. Conversations de Goethe, t. II, p. 324.