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ment épris d’eux ils nous donnent le spectacle d’une société d’hommes jeunes, énergiques, jouant un rôle important. Je crois apercevoir leurs buts principaux leur manière d’y marcher est sage et hardie. Ils sont bien sur la voie qui conduit au rapprochement entre l’Allemagne et la France ; ils forment une langue qui est tout à fait propre à faciliter l’échange des idées entre les deux nations. » Il suivait avec un intérêt passionné les cours de la Sorbonne. « Pour se mettre au courant de la littérature française contemporaine, on devra lire les leçons prononcées et publiées depuis deux ans par Guizot (Cours d’histoire moderne), Villemain (Cours de littérature française), Cousin (Cours d’histoire de la philosophie). Ils ont tous trois une vue étendue et profonde, ils unissent une connaissance parfaite du passé à l’esprit du XIXe siècle, et cette alliance fait vraiment des merveilles. Avec cela, un esprit, une pénétration, un talent pour épuiser un sujet ! C’est admirable ! On croirait les voir au pressoir. » Et faisant à M. Cousin, le seul des trois grands professeurs qu’il connût personnellement[1], le plus grand honneur qu’il pût faire à un de ses contemporains, il transportait dans sa pensée, en la modifiant à sa manière, la célèbre théorie que M. Cousin impose au développement de l’histoire de la philosophie. Il aimait à appliquer aux quatre âges de la vie la division et la succession des quatre systèmes. « La philosophie, disait-il, répète toutes les époques que nous avons traversées nous-mêmes. Enfans, nous sommes sensualistes, idéalistes, quand nous aimons et que nous mettons dans l’objet aimé des qualités qui vraiment n’y sont pas. L’amour chancelle, nous doutons de la fidélité, et nous devenons sceptiques sans le savoir. Le reste de la vie se passe dans l’indifférence ; nous laissons les choses aller comme elles veulent, et nous finissons par le quiétisme, tout comme les philosophes indiens-

  1. M. Cousin a vu trois fois l’illustre poète à Weimar, en 1817, en 1825, en 1831. Il nous a donné dans ses Souvenirs et Fragmens le récit très intéressant et très circonstancié de ses entretiens avec Goethe et de ses impressions personnelles, Nous croyons devoir en extraire ce portrait du poète (en 1817) : « Goethe est un homme d’environ soixante-neuf ans il ne m’a pas paru en avoir soixante. Il a quelque chose de Talma avec un peu plus d’embonpoint ; peut-être aussi est-il un peu plus grand. Les lignes de son visage sont grandes et bien marquées front haut, figure assez large, mais bien proportionnée, bouche sévère, yeux pénétrans, expression générale de réflexion et de force… Le geste rare, mais pittoresque, l’habitude générale grave et imposante… Il m’est impossible de donner une idée du charme de la parole de Goethe tout est individuel, et cependant tout a la magie de l’infini ; la précision et l’étendue, la netteté et la force, l’abandon et la simplicité, et une grâce indéfinissable sont dans son langage. Il finit par me subjuguer, et je l’écoutais avec délices. Il passait sans effort d’une idée à une autre, répandant sur chacune une lumière vaste et douce qui m’éclairait et m’enchantait, Son esprit se développait devant moi avec la pureté, la facilité, l’éclat tempéré et l’énergique simplicité de celui d’Homère. »