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le droit de co-occupant, comme dirait le Senchus. Ensuite le propriétaire est un homme injuste, s’il exige de la terre plus qu’elle ne peut rapporter, et on le traite comme on traitait le chef qui ne remplissait pas ses devoirs. Par contre, les propriétaires ont peu de goût pour les baux ; ils préfèrent louer à volonté, de manière à pouvoir évincer les locataires sans formalités légales. De là les duretés et les assassinats, de là aussi ces deux tendances en apparence contradictoires : le rebelle irlandais veut que toutes les clauses des contrats civils soient réglées- par la loi, et le conservateur veut maintenir la liberté des contrats. Le socialisme irlandais a donc pour axiome le droit au fermage : c’est sous la forme du fermage obligatoire que les fils du clan comprennent le partage des terres. Le tenant-right (droit des fermiers) n’est pas, comme on l’a dit, une question nouvelle suscitée contre l’Angleterre par la jeune Irlande. La question est vieille comme le S enclins, vieille comme tout ce qui est indigène en Irlande. Le fénianisme, qui va plus loin, est-il aussi, comme on le prétend, de date récente ? Non, il ne fait que continuer, sous un nom qui rappelle les temps légendaires de l’Irlande, la tradition des vieilles sociétés secrètes, ravivées par l’argent envoyé des États-Unis après le licenciement des armées fédérales.

Qu’est-ce donc que le fénianisme ? A l’origine des temps historiques, l’Irlande était habitée par trois peuples : les Feini au sud, les Ultoniens au nord, les Ernaï à l’ouest. On peut se demander si le mot de Feini vient de celui de Finois, comme l’affirme M. Henri Martin. Pour les Irlandais, il se rattache plutôt à la vieille fable de Feinius, roi de Phénicie, beau-père de Scotia, fille de Pharaon..Ce qui est certain, c’est que les fenians descendent des white-boys. Il importe peu qu’ils se mettent des moustaches au lieu de se barbouiller la figure de noir de fumée, et qu’ils fassent l’école du peloton la nuit sur les bruyères au lieu de creuser des fosses sous les fenêtres des propriétaires. Le but est le même, on veut épouvanter et rendre l’Irlande intenable pour une partie de ses habitants. Seulement, comme le fénianisme, sorti d’Irlande il y a vingt ans, a passé par les États-Unis et s’y est trouvé en contact avec des idées étrangères, il est devenu libre penseur, et il attaque le clergé catholique en même temps que le gouvernement anglais et les propriétaires irlandais. Cette nouveauté a jeté un singulier effroi. On s’est demandé quelle garantie aurait la vie des hommes, si une partie de la population rejetait l’autorité morale du clergé aussi bien que le pouvoir des lois, et bien qu’on soit accoutumé en Irlande aux sociétés secrètes et à leurs bravades, une sorte de panique s’est emparée des esprits quand on a reçu la nouvelle que deux ou trois paquebots venus d’Amérique avaient presque en même temps débarqué à Cork un certain nombre d’agents fenians. Le gouvernement