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d’ici. Et maintenant éveillez-moi. Ledit certificat certifié conforme par les témoins, qui ont signé Charlotte, duchesse de Sudermanie, baron Bonde, baron de Geer, Reuterholm, secrétaire, et Silfverhielm, magnétiseur[1]. »


La seconde séance, qui eut lieu le 24 novembre 1790, ne produisit qu’une sorte de vision extatique, mais dont le fâcheux exemple et le mystérieux retentissement contribuaient encore, au milieu des grands événemens politiques dont l’Europe était alors agitée, à troubler les esprits.


« J’aperçois un obélisque de granit sur un rocher; au sommet, il y a une couronne royale enrichie de pierreries. L’obélisque grandit j’aperçois un bouclier. Il grandit, et voici un autre bouclier, puis un autre encore. Enfin il touche la voûte des cieux. Là un œil est ouvert d’où sortent des rayons; sous leur influence, le roc se change en terre féconde, et de grandes villes se forment tout alentour. Un nouveau soleil éclaire la contrée, et les peuples adressent des bénédictions à cet œil puissant dont les rayons ont inondé la terre. »


Ces vagues et cauteleuses promesses de régénération, qui supposaient une grande catastrophe destinée à châtier quelque illustre coupable au nom de la Providence, dissimulaient mal en réalité d’hypocrites convoitises. Tant de viles intrigues qui s’ourdissaient autour de Gustave III ne restaient pas enfermées dans le palais; elles se répandaient au dehors, jusque dans les pays étrangers, jusque dans cette France où le roi de Suède comptait des serviteurs ou des amis qu’il avait le droit de croire fidèles. Son ambassadeur lui-même avait le très grave tort de se faire l’organe de cette redoutable propagande. Nous rencontrons ici un nouveau trait de la physionomie de M. de Staël qui n’est pas à négliger il était devenu mystique, lui qui avait dû à son génie tout pratique sa brillante fortune. Il avait attaché à son ambassade un certain Halldin, svedenborgien exalté, qui faisait apparaître Jean le Précurseur dans un miroir et qui lisait l’avenir dans des livres tachés de sang! M. de Staël lia surtout amitié avec ce Reuterholm, ambitieux brillant et habile, qui avait pris un si grand ascendant sur l’esprit du duc Charles. Reuterholm vint à Paris à la fin de 1789. Dans un journal très détaillé de son voyage, il raconte sa visite aux ruines de la Bastille, la journée du 6 octobre, le lever du roi, le cercle de la reine. Ce qui l’occupait bien plus que la révolution, c’était la franc-maçonnerie, au sujet de laquelle il avait promis de rapporter au duc Charles des révélations nouvelles. Aussi s’empressait-il, toujours accompagné de M. de Staël, auprès des adeptes les plus

  1. Voyez les Souvenirs de Schinkel, t. II, p. 218 et 238.